Rodney Whitacker (alias Trevanian), écrivain et professeur
enseignant à l’université d’Austin au Texas décédé en 2005 mena une vie à
l’image des personnages de ses romans : secrète, un brin occulte et
absolument machiste.
Son ouvrage le plus important fut Shibumi, paru en 1998 chez
Robert Laffont avant de ressortir en format de poche en 2008 chez le petit
éditeur spécialisé en littérature américaine de qualité qu’est Gallmeister. Un
roman étonnant et fascinant dans lequel les forces du Mal constamment à l’œuvre
s’affrontent dans une volonté de destruction et de manipulation ne connaissant
ni limites ni scrupules.
Nicholaï Hel pensait couler désormais une retraite sereine
dans son château baroque sis au Pays Basque. Polyglotte, il fut un maître du Go
doublé d’un maître d’armes travaillant à prix d’or pour le compte de
gouvernements afin d’assassiner avec style et efficacité absolue toutes les
cibles qu’on lui désignait.
Partageant son temps entre la spéléologie, le soin d’un
jardin japonais raffiné et sa concubine aussi experte que lui dans les jeux
élitistes de l’amour, il va devoir reprendre du service malgré lui et affronter
de redoutables agents fomentant attentats et assassinats mêlant CIA, OLP, OPEP
et la Mother Company, suprapuissance occulte contrôlant tous les accès aux
sources énergétiques et prête à tout pour se débarrasser des moindres gêneurs.
Trevanian organise son livre comme une partie de Go dont
chaque séquence porte d’ailleurs le nom d’une des phases tactiques possibles. Les
personnages y sont hauts en couleur à l’image de Le Cagot, l’infatigable
compagnon de route de Hel, figure héroïque de l’ETA, spéléologue averti,
amateur de femmes et de bonne chair et jurant comme un charretier à l’aide de
formules drolatiques à faire frémir bigots et bigotes. Les rebondissements,
propres au style du roman noir, sont constants, maintenant un suspense qui
pousse le lecteur à poursuivre la lecture d’un épais roman dont certaines
longueurs (l’évocation de toute la jeunesse de Nicholaï Hel aurait gagné à être
un peu élaguée même si elle donne toutes les clés de lecture du personnage)
sont compensées par la profondeur des réflexions philosophiques, politiques et
morales dissimulées derrière la surface du texte.
Reste que la place donnée aux femmes laisse un peu pantois,
une vingtaine d’années après l’écriture de ce roman atypique. Elles semblent
n’avoir pour rôle principal que celui de séduire les naïfs et de donner (certes
recevoir aussi) du plaisir aux hommes qui sauront les faire résonner comme un
unique instrument de musique…
Ceci mis à part et datant son époque révolue, le roman se
laisse agréablement lire tout en donnant une critique à peine voilée des
dérives américaines qui, elles, ne se sont décidément pas arrangées…
Publié aux Editions Gallmeister – 2008 – 520 pages