Voilà des années qu’ils
ne s’étaient plus croisés. Jusqu’à cette rencontre improviste dans une rue de
Londres. Elle l’a reconnu tout de suite, malgré la vieillesse, malgré le temps
qui a passé. Elle l’a abordé, à sa grande surprise, pour échanger quelques
paroles bien fades au regard de ce qu’ils avaient vécu. Alors, aussitôt
repartie, elle s’est promis de tout raconter, comme jamais elle n’a osé le
faire, dans ce journal intime qui sert de trame à ce nouveau très beau roman de
Julia Kerninon.
Ils se sont connus
jeunes, encore adolescents, alors que leurs pères respectifs occupaient le
poste d’Ambassadeur et de Premier Secrétaire à l’Ambassade de Londres à Rome.
Parce que leurs familles, pour des raisons à la fois identiques et spécifiques,
étaient incapables de leur offrir l’amour et la sécurité nécessaires, ils sont
devenus inséparables. Elle, Helen, la jeune fille persécutée de manière odieuse
par ses frères aussi stupides qu’abjects. Lui, Franck, fils unique encore
incapable de savoir où orienter sa vie. Et puis, naturellement, ils se sont
aimés. Sans doute sincèrement au départ, en tous cas pour elle, Helen.
A partir de là, Helen
sacrifia toute sa vie par dévotion envers Franck. C’est elle qui fut sa
première amante, elle qui l’hébergea à Amsterdam où elle partit faire ses
études. C’est elle, encore, qui, en grande partie, fit de Franck la gloire de
peintre qu’il allait devenir, une fois sa vocation trouvée.
Pour lui, elle supporta
tout. D’être sa maîtresse, d’être son hôte quand, très vite, il multiplia les
conquêtes sous son propre toit sans jamais se cacher. D’être délaissée pour une
autre femme, galeriste réputée, qui contribua grandement à faire connaître son
amant. D’être là, à nouveau, le moment venu pour lui ouvrir les bras, le
consoler, lui servir de femme lorsqu’il le voulait bien, de comptable, de
conseillère et bien d’autres choses
encore comme nous le découvrirons.
Là où la plupart des
autres femmes auraient pris leurs jambes à leurs cous, elle resta fidèle à ce
premier amour, toujours, et sacrifia sa vie, son travail, son mariage même plus
tard pour lui. Lui, Franz, un égocentrique jouisseur ne vivant que pour son
art, tellement centré sur sa fougue créatrice qu’il en est incapable de
simplement percevoir le mal qu’il peut faire aux autres. A des êtres comme lui,
il faut des phares solidement ancrés sur leur roc. C’est ce que fut, presque
toute sa vie durant, celle qui dévoua son existence à ce demi-dieu à la fois
odieux et admirable.
Avec ce nouveau roman,
Julia Kerninon qui s’était fait remarquer par son premier roman
« Buvard » confirme tout son talent et tout le bien qu’on pense
d’elle.
Publié aux Editions La
Brune au Rouergue – 2018 – 299 pages