Toutes les choses de
notre vie dont nous ne voulons plus parce qu’elles sont usées, cassées,
démodées ou périmées finissent par se retrouver dans l’immense décharge à ciel
ouvert trônant sur le fleuve Han qui divise la capitale tentaculaire de Seoul
en deux parties. C’est sur un ancien terrain fertile et agricole que sont
amassées des montagnes d’ordure qu’une armée de pauvres et d’exclus en tous
genres trient sans relâche. Une armée très organisée, divisée en clans placés
sous l’autorité de chefs qui se partagent les zones de triage et l’essentiel
des bénéfices. Ne reste pour les sbires et les esclaves de ces petits chefs un
brin mafieux que des salaires de misère permettant tout juste de subvenir aux
besoins fondamentaux.
C’est parmi ces gueux des
temps modernes que celui qu’on appelle Gros Yeux et sa mère ont échoué depuis
que l’homme de la famille a été envoyé en camp de redressement sous le régime
militaire dictatorial de la Corée du Sud d’alors. Comme leurs pairs, ils
habitent dans une cahute de fortune construite de bric et de broc sur place.
Pendant que sa mère
trouve rapidement à s’employer avant de devenir la maîtresse de son protecteur,
Gros Yeux, encore trop jeune pour véritablement travailler comme un forçat, se
familiarise avec les règles de ce nouvel univers et fait la connaissance
d’autres adolescents échoués là-bas, comme lui. Entre eux, ils forment une
petite famille avec ses propres codes. Mais c’est surtout avec le Pelé, le fils
du chef pour lequel sa mère travaille, qu’il va se lier d’amitié. Une amitié
qui les confrontera à la misère de la décharge, à sa brutalité, au monde
chamanique et à celui des esprits de celles et ceux qui ont vécu sur des
terrains fertiles avant d’en être brutalement chassés. Ces deux jeunes vaquent
ainsi entre différents mondes :
celui du passage de l’adolescence à l’âge adulte, celui d’un mode de vie
sociale intégrée à l’exclusion parmi les pestiférés, celui d’une modernité dont
on ne voit que les rebus et celui d’une culture encore un peu animiste.
Pour réaliser ce
magnifique roman, Sok-Yong Hwang s’est inspiré de la véritable histoire de la
décharge à ciel ouvert de Seoul, fermée après un incendie majeur et transformée
depuis en une base de loisirs fréquentée chaque week-end par les habitants de
la capitale coréenne.
Publié aux Editions
Philippe Picquier – 2016 – 188 pages