Depuis son formidable « Le monde selon Garp », on
sait que le monde selon John Irving est peuplé de fantasmes, hanté de pulsions
sexuelles et couvert de chemins de traverse à la poursuite d’un imaginaire qui semble aussi intarissable
que chatoyant. Autant de caractéristiques, entre autres, que nous retrouvons
avec un délice assuré dans cet extraordinaire roman « Avenue des
mystères ».
Impossible – et inutile – de tenter de vouloir résumer une
histoire aux ramifications infinies et qui nous propulse sans cesse d’une
époque à une autre, d’une langue à une autre, d’un lieu à un autre… entre
autres. Disons simplement que nous nous immisçons dans la vie et les pensées
tourmentées d’un certain Juan Diego Guerrero dont nous allons suivre, dans
l’ordre et le désordre (surtout !) les pérégrinations frénétiques.
Tout commence sous les pires auspices pour le jeune Juan
Diego. Orphelin de père, né d’une mère à la beauté renversante mais plus qu’à
moitié folle, il vit dans l’immense décharge mexicaine de Oaxaca au milieu des
détritus, des cadavres de chiens et des vautours qui surveillent leurs proies.
Confié aux soins du chef de la décharge, il va se révéler d’une intelligence
hors normes, apprenant à lire et à parler anglais seul, servant également
d’interprète à sa sœur cadette s’exprimant dans un sabir compris de lui seul
paraissant issu tout droit des langues aztèques.
Des années plus tard, il sera devenu un écrivain célèbre,
installé aux États-Unis, professeur à l’université, adulé de ses élèves et de
ses lecteurs. Nous le retrouverons à la cinquantaine avancée, infirme (à cause
de circonstances que nous apprendrons plus tard), obnubilé par ses
bêtabloquants inhibant son énergie et ses pulsions et le viagra qui lui sert de
palliatif pour une sexualité solitaire.
Entre ces deux longues étapes, et au-delà, John Irving nous
mènera tambour battant aux côtés de personnages virevoltants et hauts en
couleur. Une armée de Jésuites plus enclins à la pratique d’une casuistique
évitant la prise de risques qu’à l’action déterminée, un cirque où les grands fauves ne sont pas
nécessairement les animaux mais ceux qui tentent de les dompter, des statues de
vierges qui s’affrontent à distance causant catastrophes en série, des
cuirasses et épées de conquistadors qui tombent régulièrement pour manifester
la présence de fantômes dans un manoir. Et, surtout, un périple en Asie,
organisé par l’un des anciens élèves de Juan Diego pour son maître, au cours
duquel le romancier va tomber entre les griffes de femmes-démons, mère et
fille, lui révélant une sexualité débridée en même temps que les fantômes
d’anciens combattants américains de la guerre du Vietnam.
Il faut l’immense talent d’un romancier comme John Irving
pour bien secouer tout cela, nouer sans cesse des liens à distance qui semblent
se détendre au fil des pages pour se retendre brusquement dans des séries de
climax hilarants et déjantés. On y rit effectivement beaucoup de la religion
quand elle détruit plus qu’elle n’aide, de l’interprétation des dogmes qui
tourne à la joute verbale et philosophique, des phobies multiples et des
passions amoureuses qui renversent tout, même ce qui aurait pu passer pour être
impossible, sur leur passage.
Bref, précipitez-vous sur ce roman merveilleux et
mystérieux. Un pur chef-d’œuvre de délire.
Publié aux Éditions du Seuil – 2016 – 517 pages