Le secret de Jean Diwo, qui s’est fait une spécialité du roman historique, tient dans sa capacité à plonger délicieusement ses lecteurs quelques siècles en arrière et à leur faire côtoyer une galerie de personnages illustres dont nous apprenons tout ou presque, comme s’ils étaient nos voisins de palier ou nos amis de longue date. Je me souviens encore de ses fameuses « Dames du faubourg » et ai éprouvé avec « Les violons du roi » le même plaisir réel, continu procuré par une écriture souple qui s’appuie sur une documentation des plus solides et une maîtrise du sujet remarquable qui font de ce roman historique un livre hautement recommandable.
Cet opuscule (de presque cinq cent pages tout de même) vise à faire de nous des amateurs éclairés de l’art de la lutherie. Au centre du roman se trouve l’inégalé Stradivarius dont nous allons suivre la longue vie (il vécut entre quatre vingt et quatre vingt dix ans) entièrement dévouée à une passion dévorante et quasi exclusive qui fit passer le violon du rang d’instrument secondaire à celui d’instrument brillant, de premier plan mettant en valeur des artistes virtuoses, le plus souvent compositeurs, qui en tirèrent la quintessence. En quelques décades, la technique de jeu poussa la technique de conception et la conception s’améliorant sans cesse, la musique progressa vers des contrées qui ouvrirent le chemin vers la musique symphonique puis le romantisme, cent cinquante ans plus tard.
Stradivarius commença comme jeune apprenti chez Amati (le troisième de sa génération considéré en son temps comme le maître incontesté de la lutherie) dans la ville de Crémone où il séjourna toute sa vie. Très vite, Amati sut déceler chez ce jeune homme timide, pauvre, d’origines inconnues, muet sur sa famille, dévot et secret un talent qui pouvait faire de lui un grand maître.
Lorsque Stradivarius s’installa à son compte, bien des années plus tard, il fit progresser à pas de géants la technique à la suite de longues recherches empiriques qui l’amenèrent à travailler sur les essences du bois, la forme des ouïes, l’épaisseur des voutes ou des tables, la taille des instruments. Son rêve, qu’il finit par accomplir, était de concevoir l’instrument parfait mêlant beauté esthétique, vernis incomparable, son chaud et profond.
Sa renommée s’installant, il forma les nouvelles générations qui propagèrent l’art de la lutherie en France (François Médard, le maître français, sortit de ses ateliers) ou explorèrent des voies alternatives (on pense à Amati del Gesu– le fils de l’Amati où Stradivarius fit son apprentissage - qui fut, à la fin de sa vie son principal challenger, l’égalant en qualité et en beauté).
Tout ce que la vie musicale de l’époque compta d’important passa par les ateliers de Stradivarius ou fit appel à ses services. On suivra avec fascination les récits brillants et précis faits par l’auteur sur Corelli, le fondateur de l’art d’utiliser le violon de façon moderne, Biber que les amateurs éclairés connaissent pour avoir écrit des pièces d’une modernité encore saisissante quatre siècles plus tard, Tartini à la technique ébouriffante…
De longues pages sont également consacrés à Venise, capitale musicale italienne voire européenne, et à Vivaldi qui plaça définitivement le violon à la base des orchestres modernes et imposa la structure nouvelle du concerto en trois mouvements.
Si, comme c’est mon cas, vous êtes un fou de musique classique, ce livre est tout simplement jouissif. Il sait donner l’impression d’être intelligent sur un sujet pointu tout en procurant un plaisir de lecture réel et constant.
Publié aux Editions Denoël – 1990 – 476 pages