« Pays de neige » est souvent considéré par les exégètes de Kawabata comme son chef-d’œuvre. Sa maturation fut d’une extrême lenteur. Composé tout d’abord sous la forme de nouvelles, le récit fit l’objet d’une publication progressive entre les années 1935 et 1947. Il fut ensuite remanié en 1971 pour être publié sous sa forme définitive. C’est dire l’importance de ce livre dans l’œuvre du Prix Nobel de Littérature.
Pour apprécier « Pays de neige », il faut accepter le parti-pris de lenteur et d’apparente simplicité qu’adopte Kawabata. Il n’y a nulle hâte dans le récit, le rapport au temps, l’abandon à une certaine langueur acceptée étant ce qui caractérise les personnages centraux du livre. Comme la neige efface les reliefs des montagnes et engourdit le lieu de villégiature où se déroule le récit, en installant le froid elle assourdit les passions tout en reculant le moment où les deux personnages centraux, en proie à une symbolique et étrange danse de séduction, vont devoir faire des choix qui les engageront irrémédiablement.
La neige et le frimas gèlent une situation que tout observateur ne pourra considérer que comme anormale. Seul le drame, unique solution à un état de fait par nature non perdurable, sera de nature à mettre les personnages en face de la réalité.
C’est donc une œuvre éminemment subtile, psychologiquement complexe que nous livre l’auteur. Un tableau d’un extrême soin dans lequel chaque détail va compter, un élément isolé en expliquant un autre, le tout prenant son sens au fur et à mesure que le temps se déroule.
Shimamaru est un homme nanti qui vit une vie sans implication, une forme de dandy esthète asocial, féru de danse moderne occidentale en ce début de XXème siècle. Il occupe médiocrement son temps à publier à compte d’auteur des éditions luxueuses d’ouvrage sur sa passion que jamais personne ne lira.
Parce qu’il a connu autrefois une femme qu’il a aimée avec passion et dont il fut aimé et parce qu’il l’a abandonnée sans donner signe de vie, malgré ses promesses depuis une centaine de jours, il lui prend la fantaisie de revenir au village de montagne où ils se connurent. Dans le train qui le mène sur place, il observe à son insu une jeune femme troublante, Yoko, qui accompagne un homme malade et qui, tous deux, descendent à la même gare que lui.
Arrivé sur place, il demande à retrouver la maîtresse de musique, son ex-amante Komoko, dont il découvre qu’elle exerce désormais le métier de geisha. Cette femme semble l’attendre depuis toujours et après une défense de pure convenance, elle se redonne à lui.
Sur cette base, Kawabata structure son récit en trois mouvements principaux. Le premier nous ramène par un flash-back à leur première rencontre, à la passion des corps qui exultent, à l’intensité des sentiments. Une passion qui n’empêcha pas Shimamaru de quitter Komoko sans un mot pour revenir à Tokyo auprès de sa femme et de ses enfants.
Le deuxième mouvement est celui du temps présent, des retrouvailles, du lien de dépendance Maître/Esclave si cher à Hegel et qui ne tardent pas à faire de Komoko la maîtresse officielle d’un homme dont on ne sait dire s’il l’aime ou s’il s’amuse d’elle. A nouveau, il la laissera pour retourner à ses affaires.
Le troisième mouvement est celui du retour de Shimamaru. Un retour qui va se prolonger et s’installer avec l’hiver, la neige, les activités quasi artisanales des villageois décrites avec un esthétisme à couper le souffle. Malgré le devoir qui l’appelle, Shimamaru semble ne plus pouvoir faire marche arrière. Plus Komoko se livre aux touristes venus payer ses services, plus la dépendance morbide s’accroît. Le surgissement inattendu de Yoko qui trouble profondément l’homme versatile qu’est Shimamaru, la découverte progressive du lien qui unit les deux femmes ne pourront que projeter les acteurs dans un drame purificateur.
Un livre sublime et complexe.
Publié aux Editions Albin Michel – 1960 (1ere édition) – 190 pages