30.3.12

American Stranger - David Plante



David Plante a déjà publié une vingtaine de romans objets de louanges aux USA, souvent en lice pour des Prix dont pourtant un seul jusque là avait été traduit en France. Son dernier opus « American stranger » revêt donc un intérêt particulier d’autant plus qu’il fut publié d’abord en France avant toute diffusion aux USA ou au Canada.

Son livre, situé hors de tout repère temporel pour mieux en marquer le caractère rémanent, illustre à la perfection la difficulté d’être une américaine moderne au point de devenir une étrangère à son propre pays. Nancy Green, personnage central de ce roman en cinq parties, est la fille d’un couple de Juifs ayant fui Berlin au temps du nazisme pour se réfugier à New-York. De ses parents, Nancy ne sait pas grand-chose car ils refusent obstinément d’évoquer leur passé personnel et les heures terribles à travers lesquelles ils ont du passer. En manque de repères pour se construire, Nancy va chercher dans l’amour et la sexualité une raison d’exister et de se structurer.

Après avoir connu une liaison sans passion avec un étudiant en médecine grec sur le campus de l’université de Boston où elle fait ses études de lettres anglaises, elle fera la connaissance presque mystique d’Aaron, un juif en cours de conversion au catholicisme. Entre eux, il ne pourra rien d’y avoir de sexuel car Aaron laissera comprendre, sans jamais l’exprimer à Nancy, qu’il se dessine à la prêtrise et que c’est à un amour universel, immense qu’il entend se consacrer. Nancy, l’aguichante juive non pratiquante qui sait plaire aux hommes, y connaîtra un premier échec dont elle ne comprendra jamais vraiment les raisons.

Viendra alors Yvon, l’étudiant franco-canadien passionné de géologie, avec lequel elle vivra une relation passionnée, fusionnelle et tourmentée. Une relation qui fera d’elle une femme à part entière, découvrant les infinies ressources et les multiples recoins du plaisir. Une relation qui la mènera aussi aux bords de la destruction tant la part d’ombre d’Yvon est prévalante, partagé qu’il est entre une mère puissamment dépressive et destructrice et une amante qui rêve de l’avoir pour elle seule.

Suivra Tim, l’avocat anglais à l’intelligence subtile et méprisante, veuf d’une femme qu’il n’a jamais vraiment aimée car incapable d’enfanter et qui se cherche une nouvelle épouse capable de lui donner une descendance. Nancy l’épousera s’en croyant amoureuse et le suivra en Angleterre. A nouveau déracinée, malgré tous ses efforts, elle ne parviendra jamais véritablement à s’intégrer à un pays qui lui fait comprendre à chaque instant qu’elle n’est pas des leurs et qui la laisse ostensiblement sur la touche. Des années d’humiliation qui participeront à la manifestation permanente et de plus en plus profonde d’un désarroi qu’elle porte en elle depuis toujours.

Lorsqu’elle finira par revenir aux Etats-Unis, séparée d’un époux devenu odieux, c’est en étrangère qu’elle s’y sentira. Trop d’années auront passé, trop de déformations auront laissé leurs empreintes anglaises, trop de désillusions auront brisé une femme qui croyait naïvement en l’amour, en la puissance du désir pour y construire sa vie. Elle aura fait l’expérience de l’abandon suscité ou soumis, des trahisons et devra se confronter à une ultime révélation qui finira de la broyer sans qu’elle n’ait jamais été capable de finalement définir ce qu’était sa véritable identité, restant une étrangère à elle-même comme une étrangère à tous les lieux qu’elle aura occupés, voire les hommes qu’elle aura aimés.

C’est un livre d’une rare sensibilité et d’une certaine noirceur, à la fois ambigu et vertigineux qu’est parvenu à écrire David Plante. Derrière une écriture dépouillée et essentielle, se cachent la douleur des sentiments, l’analyse intime et touchante de la sensibilité féminine d’autant plus surprenante qu’elle y est écrite par un homme, et la dérive d’un pays, l’Amérique, qui ne sait plus vraiment ce que sont ses valeurs et sa raison d’être. Un pays devenu lui aussi étranger à lui-même.

Publié aux Editions Plon – 2010 – 216 pages