26.3.12

La pissotière – Warwick Collin



En plein cœur de Londres et à proximité du métro se trouve une pissotière pour hommes. Lorsque Ez s’y fait embaucher et retrouve deux compatriotes jamaïcains qui tiennent les lieux, il est loin de se douter que l’endroit est un point de rencontre bien connu des homosexuels qui s’y retrouvent pour assouvir leurs pulsions à l’abri précaire des cabines de toilette. Jusque là, la stratégie a plutôt été de laisser faire tant que la discrétion prévalait. Lorsque ceux qu’ils appellent les « reptiles », parce qu’ils sont froids et silencieux comme ces derniers et se choisissent sur un simple regard sans jamais s’adresser la parole ni avant, ni pendant, ni après leurs actes, en viennent à devenir trop envahissants ou à s’agglutiner jusqu’à cinq dans l’espace étroit d’une cabine, ils les délogent à l’aide d’un gros bâton en les menaçant de les prendre en photo et de porter plainte. Une stratégie d’équilibre qui sauvent les apparences et permet à tous d’y trouver son compte.

Cependant, un jour la municipalité à qui appartient l’endroit, lasse de voir s’accumuler des plaintes pour atteinte aux bonnes mœurs, décide de tout mettre en œuvre pour faire cesser ces pratiques. Un oukase qui va avoir de nombreuses conséquences inattendues sur l’eco-système  qui gère ou fréquente les lieux.
Dans ce petit roman original, Warwick Collin traite de façon légère, amusante et brillante d’un sujet grave, celui de l’homosexualité masculine et, en particulier, de celle qui n’est pas assumée car la plupart de ceux qui s’adonnent dans ces lieux clos et intimes à des pratiques douteuses sont des cadres ou des hommes de profession libérale mariés et pères de famille que les Jamaïcains arrivent de croiser en famille dans les rues animées adjacentes.

Un sujet tellement grave que les deux Jamaïcains qui travaillaient là n’en avaient jamais parlé à leurs épouses jusqu’à ce que la femme de Ez, lors d’un dîner organisé par elle, mette les pieds dans le plat et oblige chacun à regarder les choses en face. Ce sont finalement les femmes qui joueront, malgré elle, en épouses ou en déléguée de la municipalité le rôle perturbateur d’un monde souterrain profondément enfoui sous une bonne dose de lâcheté ou de vague honte.

Un roman pour dire aussi que la misère n’est pas seulement celle des populations prolétaires tels ces Jamaïcains réduits à vivre de l’élimination javellisée des excréments d’une population masculine venue, en majorité, ici pour expulser d’autres sécrétions que celles normalement attendues.
Les plans de lecture de ce très court roman sont donc nombreux et nous invitent à aller très au-delà du simple récit au demeurant fort bien construit, drôle et grave à la fois.

Publié aux Editions 10/18 – 1997 – 142 pages