De Septembre 1936
à Octobre 2010, quelques jours avant son décès à l’âge de 87 ans, un homme dont
nous ne savons quasiment rien de la carrière et de sa vie sociale que ce qui
est strictement nécessaire à la compréhension de ce qu’il écrit, entreprend de
coucher d’une écriture de notaire, héritage d’un père gazé à la guerre de
quatorze et mort très jeune, ce dont son corps se fait l’écho et le réceptacle.
Maladies
infantiles, terreurs induites par une mère castratrice et à moitié folle,
anorexie poussée à son extrême limite, telles sont les premières expériences
entreprises et ressenties par ce corps d’enfant trop tôt orphelin, mal aimé,
trop sensible et trop intelligent. Bref, bien mal parti dans la vie.
Une fois pris en
charge par un oncle et une tante agriculteurs, en même temps qu’arrive l’adolescence
survient la prise progressive de confiance en soi malgré un corps qui peut
trahir à coups de pollutions nocturnes avant que de goûter avec outrance aux
joies d’un onanisme de plus en plus sophistiqué.
On le comprendra
bien vite, rien ne nous sera épargné dans ces confessions. Les joies et les
peines d’un corps qui se façonne, se transforme puis s’étiole l’âge venant
deviennent les marqueurs d’une chronique personnelle qui se fond modestement
dans la grande Histoire. Des exploits en tant que jeune résistant, on ne saura
pas grand-chose si ce n’est qu’ils permirent, la libération venue et par un
concours de circonstances, de perdre son pucelage en guise de cadeau d’anniversaire
de la part d’une belle ex-partisane québécoise. De l’ascension dans les sphères
de la Haute Administration il ne sera question que lorsque le corps trahira
vraiment pour la première fois conduisant à une hospitalisation afin de stopper
des saignements de nez incessants qui menacent d’emporter notre homme.
Ce que nous dit
Pennac ici avec une pudeur, une simplicité, une authenticité de quelqu’un dont
on comprend qu’il a dû passer une partie de sa vie à écouter son corps comme un
hypocondriaque avaricieux thésaurisant les moindres impressions, sentiments,
joies et détraquements, c’est que tout ce que nous sommes, nous le sommes avant
tout à travers un corps qui écoute, voit, sent et ressent. Une formidable
machine dont on fait peu de cas aussi longtemps qu’elle ne se détraque puis que
l’on passera à regretter lorsqu’il sera trop tard.
Cela aurait pu
être vulgaire, lassant et répétitif. Pennac en fait au contraire un livre d’une
hauteur incroyable, pudique et sincère, sans cesse renouvelé au gré du temps
qui passe. C’est bien simple, une fois commencé, il devient très difficile de
lâcher ce long journal d’une vie d’un homme dont nous savons tout et presque
rien à la fois, comme la trace que la plupart de nous finira par laisser le
moment venu de rendre définitivement les â(r)mes.
Publié aux
Editions Gallimard – 2012 – 400 pages