Verre cassé est le surnom d’un pilier de bar,
un alcoolique effacé, abîmé par la vie qui passe son temps à observer la triste
humanité qui échoue au fin fond d’un bar crasseux congolais, « le crédit a
voyagé ». Un jour, la vie de verre cassé va changer, le patron du bar dit
« l’Escargot entêté », lui proposant d’écrire les histoires qui lui
passent par la tête sur un cahier qu’il lui remet.
Il faut dire que Verre cassé a des lettres.
C’est un ancien instituteur, amoureux de la langue française et des livres, un
brin poète et qui fut chassé de son école de par son alcoolisme irrépressible
qui le conduisait à des attitudes inexcusables face à un jeune public pas
encore bousillé par la vie africaine.
Alors Verre cassé va se lancer. Usant d’un
style populaire et haut en couleurs, sur le mode d’un conteur ou d’un griot
africain, Verre cassé va d’abord nous faire plonger dans la vie stupide à
mourir des autres piliers du bar. Nous y découvrirons un homme qui se déplace
habillé de pampers, poursuivi par les mouches à merde, envoyé par erreur en
prison par sa femme, pour s’en débarrasser, et où il fut victime de viols à
répétitions. Ou bien celle encore d’une énorme maîtresse femme, experte en
concours de pissage et qui finira par se faire clore le bec par un hurluberlu
inattendu. Celle encore des dictateurs, ministres et autres chefs d’Etat locaux
qui font main basse sur les richesses du pays pour en tirer un profit immédiat
et exclusivement personnel. Ainsi que toute une cohorte de paumés.
Puis, Verre cassé, dans la deuxième partie du
livre, va peu à peu nous révéler sa pauvre vie, ses terreurs et ses échecs, sa
descente dans les bas-fonds de l’humain au fur et à mesure que sa consommation
d’alcool va augmenter.
Pour ce faire, A. Mabanckou choisit d’user
d’une langue colorée et qui multiplie les allers-retours entre un français de
France recherché et les expressions locales souvent hilarantes. L’auteur
s’attache aussi à n’utiliser aucun point dans ses phrases qui s’enchaînent les
unes ou autres, sans discontinuer, une idée en entrainant une autre, une
confession amenant la suivante. Verre cassé lui-même en donnera les raisons,
arrivé au bout de son cahier. Il a voulu un langage bariolé, bizarre, hors du
commun pour décrire des tranches de vie elles-mêmes hors du commun.
C’est la violence de l’Afrique, ses profondes
injustices mais aussi sa solidarité, son brassage de traditions qui servent de
trames puissantes à ce récit. Malgré le tragique des situations, on y rit
souvent de la stupidité, de la cupidité, de la capacité des hommes à être un
loup pour l’homme.
Le roman est une absolue réussite d’ailleurs
récompensée par le « Prix des Cinq Continents de la Francophonie »,
le « Prix Ouest-France/étonnants voyageurs » et le « Prix RFO du
livre ». Alors, n’hésitez pas !
Publié aux Editions Points – 248 pages