J.K. Toole fut un génie littéraire dépressif et inconnu de
son vivant. Né en 1937 à la Nouvelle-Orléans, adulé par sa mère, il fit ses
études à l’Université de Columbia, fut professeur, partit à l’armée et chercha
en vain à se faire publier de son vivant. Solitaire, meurtri de n’être pas
reconnu, il se suicida en 1969 en reliant le pot d’échappement de sa voiture à
l’habitacle dans lequel il s’enferma. C’est grâce à l’énergie et à la
combativité de sa mère que son roman majeur « La Conjuration des
Imbéciles » fut publié en 1980. Ce fut un extraordinaire succès qui lui
valut le Prix Pulitzer.
« La bible de néon », tapuscrit inconnu pendant
longtemps, fut découvert par hasard par sa mère, plusieurs années après sa mort.
Au terme d’une longue bataille juridique entre les ayant droits, il finit par
être publié en 1991. Ecrit à l’âge de seize ans, d’une remarquable maturité et
inventivité, préfigurant la maîtrise de l’auteur, il constitue le premier
volume des deux seuls romans jamais écrits et publiés par Toole.
C’est la misère physique et morale qui est au centre de
cette œuvre de jeunesse. Nous sommes dans les années 1940 quelque part dans une
petite ville du sud des Etats-Unis. Dans une baraque délabrée, perchée au
sommet d’une colline argileuse ravinée par les pluies torrentielles qui se
déversent régulièrement, vit une famille blanche typique des exclus du rêve
américain. Entre un père alcoolique et violent, une mère silencieuse et qui peu
à peu va sombrer dans la folie et une tante obèse et ancienne chanteuse de
cabaret, vit Daniel, un jeune
garçon discret et sans histoire.
Chaque nuit depuis sa chambre, Daniel aperçoit une odieuse
enseigne lumineuse qui tente de racoler des ouailles égarées vers le Pasteur
local. C’est « la bible de néon », symbole de l’ostracisme que le
reste de la ville, sous l’impulsion du prêtre intolérant et méprisable, fait
subir à cette famille honnie, en marge de la communauté bien pensante
environnante. Il ne fait pas bon de ne pas se conformer aux us américains
dominants, royaume de la superficialité et du paraître.
Toole va réussir à installer un climat lourd, fait de
tensions implicites, d’éclats de pure violence qui trouvent leur résonnance
dans le personnage discret et secret qu’est Daniel. Au fur et à mesure que le
temps passe, la déchéance familiale grandit et Daniel subit les brimades d’un
entourage social pleutre et lâche. Avec la mort du père sur le front, Daniel
devra abandonner l’école et tenir le rôle de chef de famille, un chef broyé
entre une mère poussée vers l’asile par le Pasteur et une tante qui reprendra
sa liberté en tentant une deuxième carrière aussi tardive qu’inespérée.
La description du changement de la société au cours de la
deuxième guerre mondiale, les femmes devant s’émanciper avec les hommes au
front, est particulièrement saisissante. C’est aussi la seule période vraiment heureuse mise en scène dans ce roman par ailleurs d’un profond et prémonitoire
désespoir.
La conclusion, inattendue et terrifiante, éclaire les
premières pages qui étaient restées jusque là en totale déconnection d’un récit
captivant. On referme le livre admiratif de la prouesse d’un jeune homme de
seize ans caractéristique de ce que l’on appelle maintenant un enfant précoce.
Un homme supérieurement intelligent et désespéré par l’incapacité à concilier
le cérébral et l’affectif.
A ne pas manquer.
Publié aux Editions Laffont – 234 pages