Pourquoi Siem
Sigerius s’est-il donné la mort ? Telle est la question qui hante le roman
de bout en bout. Il avait tout a priori pour être heureux. Champion de judo, génie
des mathématiques, détenteur d’une médaille Field, ancien recteur de
l’université de la ville néerlandaise d’Enschede, il vient d’être nommé
Ministre de l’Education Nationale et est au sommet de sa réussite sociale.
Remarié à une Tineke avec laquelle il vit depuis près de vingt ans, il aime ses
deux belles-filles comme si elles étaient ses propres enfants.
Pourtant,
derrière les apparences se dissimulent des fissures, des doutes qui, une fois
insérés, vont conduire leur chemin, de plus en plus profondément, de manière
inéluctable comme un coin enfoncé dans une souche en produira l’éclatement.
L’apparence :
voici bien ce qui structure
véritablement ce roman aux facettes multiples tant celles et ceux qui se
dissimulent dans l’ombre de leurs propres personnages vont révéler ceux qu’ils
sont véritablement, au fur et à mesure que le récit progresse et que l’auteur
resserre des cercles concentriques de plus en plus étroits autour d’eux. Au
premier regard, tout semble normal. Une famille sans histoire, connue, socialement
établie et respectée.
Pourtant, Siem a
un fils d’un premier mariage, exclu de sa vie depuis son emprisonnement pour
assassinat. Sa belle-fille aînée, Joni, se livre dans des postures
pornographiques sur un site privé et payant auquel Siem est abonné pour oublier
une liaison non consommée avec une étudiante et une sexualité quasi
inexistante. Son épouse s’enferme de longues heures dans son atelier, se mure
dans un silence et son mal-être se traduit dans une prise de poids inexorable
qui la transforme en une sorte de mastodonte. Le petit ami de Joni est en proie
à une schizophrénie effrayante. Seule la plus jeune fille, discrète, paraît
vivre de façon véritablement normale et anonyme.
Toutes ces faces
cachées vont exploser en même temps que l’incendie d’un dépôt de feux
d’artifice de la ville la dévastera. Une fois lancée, une mécanique infernale
se mettra alors en branle emmêlant de façon effrayante pornographie, morts
violentes, folie, mensonges, dissimulations et manipulations.
Alors la plume de
Buwalda se fera de plus en plus brutale, plongera dans une encre rouge sang
sans nous épargner le moindre détail, la plus petite horreur d’une famille qui
a définitivement perdu son innocence, celle du temps où Siem fut professeur à
Palo Alto et où tous vivaient aimablement, sans histoires dans une belle villa
à Bonita Avenue.
Il est certain
que ce roman, malgré ses longueurs ici ou là, marquera durablement ses lecteurs
par sa construction complexe et habile, sa noirceur, la profondeur de son
analyse psychologique, la maîtrise du style et de la langue jusqu’à ce qu’elle
a de plus crû. Un roman qui dérangera et mettra mal à l’aise. Un coup de
maître, vraiment !
Publié aux
Editions Actes Sud – 2013 – 514 pages