Après un premier
roman, Murtoriu, écrit en langue corse, l’écrivain insulaire publie chez Actes
Sud un deuxième livre, cette fois-ci rédigé en langue française. Une langue
âpre et rêche, violente et directe comme ses personnages et les faits
historiques dont l’histoire s’inspire.
Au départ, comme
il le déclare lui-même, Marc Biancarelli a voulu recréer une sorte de western
corse avec comme source d’inspiration fondamentale « True grit ». Un
monde de sales et de méchants, un monde de brutes où l’on ne s’embarrasse pas
trop de préjugés ou de sentiments pour faire avancer sa cause et ses intérêts.
Mais réduire son livre à une parodie de western ne serait pas lui rendre un
hommage complet car il y a bien plus que cela dans son ouvrage.
Comme dans le
genre dont il s’inspire, l’intrigue est à la base assez simple. Une jeune femme
paysanne, Vénérande, décide de venger son jeune frère qu’une bande de bandits
de grands chemins a défiguré et auquel ils ont atrocement coupé la langue pour
qu’il ne puisse dénoncer ses agresseurs venus lui voler les brebis dont il
avait la garde. Pour cela, la jeune femme qui vit seule avec l’infirme et qui
bénéficie d’une force de caractère hors du commun décide d’entreprendre une
légende corse, l’Infernu (l’Enfer).
Un surnom obtenu
après une vie de tueur à gages, passée à combattre auprès de compagnons aussi
patibulaires que dangereux tout ce que l’île a tenté de repousser comme
envahisseurs. Arrivé à bout de force, alcoolique, malade, l’Infernu accepte ce
dernier contrat parce que l’argent lui manque et, surtout, parce que la fille,
qui n’a pas froid aux yeux, l’intrigue.
Commence alors
une chasse à l’homme visant à tuer froidement les quatre frères dont Vénérande
a su patiemment comprendre les traits et auxquels l’Infernu sait donner une
identité car il s’est battu un temps avec eux avant de se battre à mort contre
eux désormais. Une chasse menée à la condition que Vénérande l’accompagne pour
assurer ses arrières. Cependant, la jeune femme ne se doute pas du rôle réel
que les circonstances vont l’obliger à tenir dans un scenario qui, évidemment,
ne se déroule jamais comme l’idéal l’aurait voulu…
Autour de cette
vendetta, c’est toute l’histoire de la conquête de la Corse par les Français
qui se raconte. Celle d’une lutte sans merci entre ceux qui constituèrent les
rebelles au départ, les gendarmes français, décimés, et qui finiront par avoir
la peau des insurgés en faisant appel à des Voltigeurs ramassés parmi la lie
corse, eux-mêmes prêts à tout contre du bel argent sonnant et trébuchant.
Or, derrière
l’intrigue romanesque se cachent surtout l’horreur que porte en elle toute
guerre, ses meurtres de sang-froid, ses viols, ses combats fratricides ainsi
que, le temps passant, l’oubli fondamental des raisons qui ont conduit à
s’engager dans un monde de violence. Une fois le pas franchi, impossible de
faire marche arrière. Tuer pour vivre devient la seule raison de vivre au point
de tuer pour n’importe quelle cause et de tuer n’importe qui, y compris les
populations vernaculaires, si le besoin ou la simple envie s’en fait sentir. Un
mode de vie qui mène tôt ou tard à la perte de son âme puis à la perte de sa
vie, assassiné, torturé ou pendu selon les cas…
C’est tout cela
que raconte par bribes un vieil homme arrivé au bout du rouleau à la jeune
femme pour laquelle il travaille le temps d’un contrat. Un récit qu’elle entend
malgré elle au fur et à mesure que la traque progresse. Un récit qui montre
l’absurdité et les limites de son projet de vengeance lequel, à son tour,
l’entraînera dans un schéma de vie qui semble se répéter à l’infini comme le
laisse penser une fin énigmatique et assez poétique.
Sans être un
roman exceptionnel, « Orphelins de Dieu » possède une certaine
puissance et se lit avec intérêt. Un bon livre qui révèle un auteur à suivre.
Publié chez Actes
Sud – 2014 – 234 pages