C’est par la métaphore, par le recours à une petite histoire
aux apparences doucereuses qu’Appelfeld décide de nous donner à voir l’arrivée
insidieuse de la barbarie nazie.
Nous sommes dans une petite station balnéaire, à Badenheim,
en plein printemps. Les estivants ne semblent avoir d’autres préoccupations que
de se régaler de délicieuses pâtisseries réalisées par un artisan juif qui n’a
jamais quitté son poste depuis trente cinq ans. Une fois repus, ils se rendent
avec nonchalance aux concerts donnés par un orchestre de musiciens juifs. Des
musiciens qui jouent sans véritable passion sous la conduite d’un chef, juif
lui aussi, plus préoccupé à régner en maître sur toute la communauté qu’à
perfectionner sa musique.
Dans cette station, par un concours de circonstances qui
semble trompeusement un hasard, la majorité des estivants est juive. Ils vivent
une vie de relative insouciance qui peu à peu va se gripper.
L’habileté d’Appelfeld est de recourir à des éléments
indirects pour mettre en place un univers kafkaïen et progressivement de plus
en plus oppressant. Tout commence par la mise en place d’un prétendu service
sanitaire qui impose le recensement de tous les juifs. Parce que la discipline
est culturelle, chacun se fait recenser sans s’interroger et avec politesse. Il
en résulte une encore plus grande fierté d’être juif et un relatif dépit pour
ceux qui sont exclus de cette opération, minoritaires.
Puis, brutalement et insidieusement, la ville est bouclée.
On ne peut qu’y entrer, à condition d’être juif, jamais en sortir sauf à ne pas
être juif. Même les chiens qui tentent de forcer les postes de garde seront
abattus sans merci.
Chaque jour, la vie devient plus difficile, par petites
touches successives aux fins de rendre l’oppression plus supportable car
progressive. Les mauvais jours arrivent et avec eux le rationnement et un
cantonnement que l’impresario d’un compositeur de petite gloire n’aura de cesse
d’expliquer comme étant le prélude à un voyage, anodin et de quasi plaisance,
vers une Pologne vue comme une nouvelle terre promise parce que havre de la
judéité.
La désillusion collective cessera à peine lorsqu’un petit
matin, ils seront convoyés en masse dans des wagons à bestiaux où ils finiront
entassés pour une destination que nous sommes en fait les seuls à connaître, a
posteriori.
Derrière un texte simple, réalisé sous la forme de courts
chapitres qui constituent des scénettes de théâtre, se cache une analyse impitoyable
de ce que l’illusion collective peut entrainer comme aveuglement.
Publié aux Editions de l’olivier – 2007 – 166 pages