Non, Thomas B. Reverdy,
en dépit de l’initiale mystérieuse de son nom qui pourrait le laisser penser,
n’est pas américain mais bien français. Un auteur d’ailleurs récompensé du Prix
Joseph Kessel pour « Les Evaporés » en 2013. Et un finaliste
malheureux du Goncourt.
Mais, l’Amérique, Thomas
B. Reverdy connaît. En tous cas, son dernier roman « Il était une
ville » montre qu’en ce qui concerne Detroit, il en a étudié en détails la
géographie, l’ambiance et la déliquescence qui, jusqu’il y a encore un an,
caractérisait tout le centre-ville. Une ville que je connais très bien pour m’y
rendre régulièrement pour raisons professionnelles et dont T. Reverdy a su
parfaitement restituer le caractère fantomatique, inquiétant et profondément
glacial dans cet hiver rigoureux qui n’en finit pas.
En 2008, Detroit
s’effondre. Secouée par la crise automobile, la mégapole que l’on nommait Motor
City voit ses usines fermer et le centre-ville se vider. Un tiers de la
population disparaît, laissant derrière elle des quartiers entiers à l’abandon.
Des quartiers faisant l’objet d’une razzia systématique des bandes pour
collecter tout ce qui peut se revendre : cuivre, métal, fenêtres… Du coup,
immeubles et maisons passent en quelques semaines, mois tout au plus, au statut
de carcasses ruinées par les flammes tandis que des rues entières s’éventrent
sous les coups de butoir du gel. Bref, un scenario de fin du monde, sidérant
lorsque l’on découvre Detroit pour la première fois…
Dans ce monde en
déliquescence, pourtant bordé à quelques miles de là par de riantes banlieues
nanties, l’auteur plante un roman à la fois polyphonique et à la limite du
policier. Un roman qui va créer des liens fragiles entre des êtres qui, tous, à
leur façon, tentent de résister à cette descente aux enfers, de continuer de
donner une sens à leur vie pour aller de l’avant, ne pas sombrer. Un roman qui
nous incite aussi à réfléchir au sens de nos sociétés occidentales et à la
fragilité d’un modèle qui peut facilement se gripper et plonger l’humanité dans
une catastrophe globale.
Eugène, un ingénieur
français envoyé par l’Entreprise pour encadrer une équipe multinationale visant
à créer l’Intégrale, une plateforme auto révolutionnaire, va peu à peu
constater l’abandon et la lâcheté d’un employeur broyé par la Catastrophe comme
l’appelle l’auteur. Il trouvera un nouveau sens à sa vie en Candice, la
serveuse du bar où il traîne chaque soir. Candice fut l’amie de la Framboise,
une call-girl disparue assassinée et ayant fréquenté de près Max, un dangereux
trafiquant de drogue. Max qui embarque une armée d’enfants dans une vie en
marge et dangereuse où vont se retrouver trois adolescents noirs. Des jeunes
dont la disparition intrigue un vieux flic fatigué, Brown, venu interroger
Gloria, la grand-mère de l’un de ces mêmes. Des liens ténus mais suffisants
pour tisser un roman porté par une écriture prude et capable de narrer un
superbe moment de nuit d’amour en-dehors des poncifs habituels, fabriquant des
images frappantes de justesse, de poésie et de beauté. Rien que pour ces deux
pages, « Il était une ville » mérite qu’on s’y arrête.
Publié aux Editions
Flammarion – 2015 – 270 pages