Tous les passionnés de musique comme tous les amoureux de
romans bien construits, bien écrits qui emportent et transportent les lecteurs
dans une quête hypnotique devraient trouver leur compte dans ce dernier et
septième roman de l’ex-journaliste Frédérique Deghelt.
Tout avait plutôt mal commencé pour Luis. Fils d’émigrés
espagnols chassés par la guerre civile et venus se réfugier en France, il vit
entre un père odieux, une mère aussi stupide qu’absente et une sœur d’un égoïsme
absolu. Mais il est surtout frappé d’ostracisme, victime de camarades de classe
qui n’hésitent pas à railler son corps rachitique et tordu, son bras gauche
paralysé, son élocution gauche.
Aussi Luis se réfugie-t-il dans un monde qui lui est propre,
celui de la radio où il écoute les concerts et la musique avec une passion
totale, développant peu à peu sans s’en rendre compte un savoir immense.
Jusqu’au jour où il fera la rencontre fortuite sur un quai de Seine d’un jeune
matelot jouant de l’accordéon, frappé de la qualité de l’oreille du jeune
garçon. Un musicien qui s’appelle Astor Piazzolla et qui va lui ouvrir le
chemin du monde professionnel de la musique.
Désormais arrivé à un âge avancé, Luis accepte de se laisser
interviewer et filmer par une jeune femme résolue qui s’est fait une spécialité
de réaliser des documentaires sur celles et ceux qui ont su trouver et tracer
des chemins hors du commun. Car Luis sera devenu, entretemps, un immense chef
d’orchestre aussi respecté qu’adulé.
C’est ce parcours à rebours que l’on découvre peu à peu. Un
parcours où chaque épreuve se gagne par une combinaison sans cesse renouvelée
de travail, de chance, de talent, d’abnégation, de capacité à voir, écouter,
interpréter autrement.
Doté d’une énergie inaltérable, Luis se lancera à corps
perdu dans la musique, défiant les conventions, forgeant des ponts entre les
genres inconciliables que sont à son époque musique classique, jazz et tango.
Il deviendra l’assistant des plus grands avant de voler de ses propres ailes.
A travers l’histoire personnelle de Luis, de ses succès, de
ses relations aux femmes et aux autres, c’est l’histoire de notre époque
jusqu’à la barbarie terroriste et folle actuelle que nous conte Frédérique
Deghelt avec un souci du détail, de l’exactitude que respecteront tous les
connaisseurs de musique classique exigeants.
C’est aussi l’ambivalence du lien entre l’interviewé et l’intervieweuse
qui peu à peu se dessine, humanisant un personnage marqué par le destin et muré
dans une retraite distante pour causes de drames personnels et collectifs dont
nous finirons par tout comprendre.
Frédérique Deghelt signe un superbe roman, passionnant, maîtrisé
de bout en bout, éblouissant et profondément vrai. Un roman qui retrace
fidèlement la difficulté du monde musical aussi.
Publié aux Editions Actes Sud – 2016 – 310 pages