A travers ce livre ambitieux, José Luis Peixoto cherche à
nous donner son point de vue sur l’émigration, sur la difficulté à trouver ses
racines dans un pays d’accueil, la nostalgie que l’on peut avoir du pays natal
et la complexité à vivre, tout simplement, au milieu de ses propres paradoxes,
de ses sentiments contradictoires, des évènements qui contrarient sans cesse
nos projets.
Tout commence dans un petit village du Portugal. Un enfant
sera laissé là par sa mère couturière au pied d’une fontaine où est censé venir
le chercher un oncle providentiel et qu’il ne connaît pas. Doux euphémisme pour
dire que cet enfant sera abandonné par celle qui ne parvient plus à le nourrir,
cette fille-mère qui survit tout juste dans un pays soumis à la dictature et
sans travail autre que celui des champs, de l’armée ou de la police qui
quadrillent le pays d’une main de fer.
Quelques années plus tard, l’enfant devenu un jeune adulte
et maçon formé sur le tas par celui qui l’aura recueilli et élevé n’aura
d’autres choix que d’émigrer en France pour venir renforcer la cohorte de main
d’œuvre portugaise ou espagnole ayant fui les dictatures de leurs pays pour
tenter de trouver un eldorado en fait désenchanteur. Son souci principal sera,
alors, de retrouver la trace de celle qu’il aimait, la jeune fille de son
village, disparue mystérieusement une nuit, embarquée de force dans un camion
convoyant sa main-d’œuvre besogneuse et peu difficile vers cette France qui
absorbe les travailleurs comme un buvard boit l’encre de la plume.
Entre eux un livre offert par le jeune homme et unique bien
que conservera la jeune femme. Un lien unique qui s’effacera avec le temps et
la manipulation d’un tiers qui fera tout pour empêcher le rapprochement de ces
deux êtres, comme s’efface le souvenir d’une lecture au fil du temps pour ne
plus en conserver que les contours. Et c’est là que le propos de Peixoto
prendra un autre tour, devenant plus complexe se démultipliant à l’infini comme
un gigantesque et fascinant kaléidoscope.
Car de livres il sera question tout
au long de ce roman à tiroirs. C’est un autre livre laissé ouvert dans la
bibliothèque où travaille la jeune femme comme femme de ménage qui scellera son
union avec un homme qui n’aura de cesse que de la mépriser une fois épousée.
C’est un autre livre, d’une forme inattendue et nous n’en dirons pas plus car
c’est la surprise essentielle de ce roman complexe, qui reliera celui et celle
que l’on pensait perdus l’un pour l’autre, victimes exemplaires d’une émigration
sans véritable intégration, travailleurs dociles et qui courbent l’échine
jusqu’à leur retour, en gloire, au pays, l’âge venu.
D’où le titre « Livro » qui signifie livre en portugais,
le roman devenant par une sorte de passe-passe à son tour l’enjeu d’une écriture
sur lui-même, une façon de méta-roman en quelque sorte. C’en sera là d’ailleurs
la limite fondamentale car, à vouloir compliquer son propos, Peixoto dilue
l’attention de son lecteur et finit par commettre un dernier tiers qui souvent
s’égare en d’inutiles digressions ou divagations qui ne font qu’ajouter à une
certaine confusion.
On en ressortira avec un sentiment partagé. Celui de la
satisfaction d’un livre qui, pour les deux-tiers, convainc ; celui de
l’amertume d’une fin qui aurait gagné à être condensée. Il en restera plus une
curiosité qu’un roman majeur et c’est dommage.
Publié aux Editions Grasset – 2012 – 329 pages