Avec son style lapidaire et drôle, Joël Egloff nous emmène
dans le monde des losers absolus, ceux qui forment le tiers-monde d’une société
française qui prend l’eau et qui fabrique de plus en plus d’exclus sommés de se
satisfaire du peu qu’ils ont quand bien même ce peu est repoussant et
dérisoire.
Dans ce coin paumé de Haute Normandie, ceux qui vivent là
ont la chance innommable d’être coincés entre une décharge dans laquelle un SDF
solitaire s’est aménagé un coin mobile, forcé de le déplacer à chaque fois que
la pelle mécanique menace d’avaler son fragile habitat, une centrale nucléaire
et un aéroport où finira par se crasher au décollage un gros porteur. Du
boulot, il y en a. A l’abattoir où, à la chaine, on abat les bestiaux d’un coup
de pistolet électrique avant de les dépecer dans des gestes devenus aussi
répétitifs que vides de sens. Jusqu’à péter les plombs et devenir à son tour ce
bétail qu’on abat, sans scrupules, sans regrets, presque sans y prendre garde.
Répétition et absurdité sont d’ailleurs les fils conducteurs
de ce petit roman au vitriol que l’on peut lire au premier comme au deuxième
degré. Répétition des situations insupportables qui finissent par en devenir
drôles parce qu’elles posent une normalité absurde. Absurdité permanente de la
vie qu’on y mène et qui ne mène nulle part si ce n’est au désespoir ou à la
folie, la retraite ne promettant aucunement d’être rose dans ce bout de France
pollué, devenu le dépotoir national et le lieu de réclusion de tout ce que le
pays compte de pauvres hères quasi incultes.
Tout cela aurait pu être désespérant. C’est au contraire
jouissif tant le talent d’Egloff est grand pour tirer de cet univers qui tourne
en manège devenu fou une sorte de tableau fellinien, jouissif et violent, d’un
pays qui se porte de plus en plus mal.
Publié aux Editions Buchet Chastel – 2005 – 142 pages