La grande tendance de l’univers romanesque contemporain
japonais est de nous plonger de préférence dans un monde étrange, toujours en
marge, souvent interlope ou aux confins du fantastique.
« Call-Boy » s’inscrit parfaitement dans cette
tendance en nous offrant une plongée inédite, surprenante, vertigineuse aussi
dans l’immensité, la complexité et la variété que peut revêtir le désir
féminin.
Depuis que, petit garçon encore, Ryô a perdu sa mère,
brutalement décédée d’un arrêt cardiaque, il semble s’être déconnecté du monde
réel et se laisser quelque peu porter par les évènements. Inscrit à
l’université à Tokyo, il n’en suit jamais les cours qui l’ennuient, grâce à une
amie en récupèrent le contenu qu’il ne consulte que rarement, consacrant
l’essentiel de son temps à procrastiner la journée et, surtout, travailler
comme barman la nuit.
C’est au comptoir du bar qu’il va faire la rencontre d’une
femme, Madame Midoh, que lui présente un ami et qui lui offre de travailler
pour elle comme prostitué de luxe. Une offre inattendue pour un jeune homme que
les femmes ennuient, qui considère le sexe plus comme une activité sportive que
comme un plaisir, qui ne sort quasiment pas. Après un test de passage aussi
fascinant que perturbant, Ryô voit sa vie transformée du tout au tout.
Lui que le rapport aux femmes angoissait, toujours marqué
par la perte subite de sa mère, va rapidement devenir l’un des prostitués les
plus demandés d’une clientèle de luxe prête à débourser des fortunes pour
s’offrir les services d’un jeune homme capable d’assouvir leurs fantasmes
avoués ou inavoués. Ce n’est pas tant le physique, certes avenant, de Ryô qui
fait son succès mais sa capacité d’écoute, sa tolérance totale face aux
demandes et aux situations qu’il rencontre, son absence de jugement face à des
femmes de tous âges célibataires, mariées, veuves qui ont besoin d’un vecteur
externe pour déclencher en elles des réactions psychologiques et physiques le
plus souvent extrêmes qu’une relation normale, usée par la répétition, ne
saurait offrir.
Plus les rencontres se multiplient, plus Ryô développe une
sorte d’approche philosophique visant à explorer le désir féminin, à le
comprendre, à le décoder pour mieux le provoquer et en repousser les limites.
Un talent qui ne pourra véritablement éclore qu’après une expérience SM
homosexuelle des plus troublantes et qui fera sauter un ultime verrou.
Eteint, terne, inexistant avant, Ryô apprend à devenir
humain et trouve sa place dans la société grâce à cette activité occulte et
trouble ; un métier qui apporte du plaisir, de la joie et de l’équilibre
lorsqu’il est pratiqué par l’expert en désir féminin qu’il est devenu.
Voici un roman à ne pas mettre entre toutes les mains mais
qui interpelle par sa force, son originalité et sa capacité à ne jamais tomber
dans le trash ou le sordide en dépit du sujet traité et des scènes relatées par
le menu.
Publié aux Editions Philippe Picquier – 2016 – 251 pages