17.4.17

The girls – Emma Cline


« The girls » : un phénomène littéraire comme la planète livres nous en réserve parfois. Derrière ce titre à la fois vague et énigmatique se cache une jeune romancière de vingt-six ans dont le monde entier s’est arraché les droits du premier roman à coups de millions de dollars avant même qu’il ne fût achevé ! Une fois la lecture haletante et addictive terminée, on comprend que l’engouement ait été à la hauteur de la promesse et du succès public qui s’en suivit.

Derrière l’histoire morbide et captivante qui nous est contée se cache en filigranes à peine voilés l’affaire Manson, cette secte hippie placée sous l’autorité despotique d’un gourou satanique qui envoya trois jeunes filles et un jeune garçon assassiner, après les avoir sauvagement torturés, l’épouse de Roman Polanski, enceinte, et quatre de ses amis dans la villa hollywoodienne du réalisateur. Un crime qui, symboliquement et pour beaucoup, marqua la fin brutale de l’époque hippie et des dérives psychédéliques du « Peace and Love » généralisé.

C’est par les yeux d’une protagoniste imaginaire, Evie Boyd, devenue une femme mûre sans âge, sans réelle profession, sans homme et sans illusions, une femme qui squatte la maison supposée vacante d’un très ancien ex-petit-ami qu’Emma Cline va nous ouvrir avec un talent fou la porte d’une époque révolue.

Aves des phrases qui font mouche, douée d’une écriture dont la flamboyance est magnifiée par des images aussi poétiques qu’efficaces, Emma Cline nous fait toucher du doigt le mystère et les dangers de l’adolescence. Celui de la jeune fille de quatorze ans qu’est alors Evie, jusqu’ici sans histoire, fille unique de parents fraîchement divorcés, confiée aux soins absents d’une mère qui cherche désespérément à se consoler entre les bras plus ou moins coupables de tous les hommes susceptibles de combler le vide désespérant de sa vie.

Dans ce désert entre ville et campagne profonde où ces femmes résident suinte toujours un fond d’ennui, un vague spleen dissimulé sous la bienséance et une apparente bienveillance. Rien qui ne puisse retenir une jeune fille laissée très libre de ses mouvements lorsqu’elle croise par hasard une bande de jeunes filles pas comme les autres, volant dans les poubelles pour se nourrir et dégageant une puissance d’attraction aussi maléfique qu’irrésistible. Une bande de squales au féminin qui trace son chemin sans s’en laisser compter.

Très vite, Evie va se trouver enrôlée dans un groupe vivant en marge habitant un ranch délabré où court une horde de gamins crasseux aux parents putatifs. Un monde soumis à l’autorité sans partage d’un chef de secte qui a fait de chacune des filles son esclave sexuelle. Dans ce monde, le temps d’un court été, Evie va perdre son innocence, découvrir l’ambiguïté constante entre amitié féminine et homosexualité, se défaire jour après jour de tous ses repères, de toutes les règles, abusée de drogues et de sexe qu’elle consent à être jusqu’au moment où le monde dans lequel elle a choisi de se réfugier, par manque d’amour et de repères, par besoin compulsif d’être reconnue et donc d’exister, va basculer dans l’horreur criminelle ordonnée par un chef de secte devenu fou.

Emma Cline nous prend aux tripes dans ce voyage à l’acide puissant et dangereux aussi inéluctable qu’abominable. Le récit de la fin d’un monde, d’une époque, d’une jeunesse, celui d’une vie de femme à jamais détruite par d’autres filles maléfiques dont elle voulut se faire aimer trop tôt, trop vite, trop mal.

Superbe !


Publié aux Editions Quai Voltaire – 2016 – 331 pages