Une phrase, qui fait la jonction entre la fin de la page 137
et le tout début de la suivante, résume formidablement tout ce roman :
« Tout allait formidablement bien, j’étouffais. » Une formule qui,
dans son antinomie, résume à elle seule le style souvent percutant, efficace et
interpellant de Christian Oster ainsi que l’état d’esprit de son personnage
principal.
Jean est arrivé à un tournant de sa vie, sans presque y
prendre garde. La petite soixantaine, il vient de se faire plaquer par sa
compagne avant de laisser brûler par distraction, plongé dans ses pensées ou
ses observations contemplatives, sa maison sans réagir autrement qu’en
réunissant vaguement quelques vêtements avant de se rendre en train,
abandonnant tout, ne donnant aucune nouvelle, ne s’inquiétant de rien, vers la
capitale.
Lui, l’acteur de série B survivant grâce à de petits rôles dans
des séries télévisuelles, se retrouve aussi dépouillé qu’un enfant qui vient de
naître. Sans réelle volonté, sans autre projet que de disparaître aux yeux des
rares amis qu’il a encore, il fait la rencontre fortuite, dans le métro
parisien, d’une femme âgée, ancienne gloire du cinéma et du théâtre des années
soixante qui lui offre de l’héberger dans son hôtel particulier.
A partir de là, Christian Oster qui n’a d’ailleurs pas son
pareil pour imaginer des mondes et des personnages en perdition, navigant
constamment entre deux mondes, l’un perdu, l’autre restant tout en
potentialité, nous entraîne dans une histoire à la fois totalement folle,
hautement improbable, loufoque et pleine de personnages tous plus étranges les
uns que les autres, se tenant en marge de tout et, surtout, d’eux-mêmes. Cela
donne lieu à des scènes souvent hilarantes puis parfois tragiques comme ces
vies elles-mêmes tragi-comiques de saltimbanques qui n’ont pas la moindre idée
de là où ils vont, simplement tout entier dévoués à leur art, incarnant dans
des personnages fictionnels ce qu’ils sont sans doute incapables d’être dans la
vie réelle.
Alors, la façon la plus simple de tenter de vivre est encore
de se laisser porter par les circonstances, d’accepter les heureuses surprises
et les malheurs, de passer en pilote automatique sans résister, quoi qu’on en
puisse encore réellement penser, avançant dans une brume quelque peu dépressive
faite de renoncements, de petits bonheurs comme d’immenses déceptions dont il
faudra se contenter.
Malgré cette lourdeur sous-jacente, Christian Oster parvient
à distiller une légèreté, une poésie et un charme qui font tout le sel de ce
joli petit roman.
Publié aux Editions de l’Olivier – 2017 – 138 pages