19.7.17

Le club des incorrigibles optimistes – Jean-Michel Guenassia


C’est avec ce premier roman que Jean-Michel Guenassia, âgé alors de cinquante-neuf ans, fit son entrée remarquée dans le monde littéraire.  Jusque-là, il avait fait toute sa carrière comme avocat d’abord mais aussi comme scénariste pour la télévision quand il n’écrivait pas des pièces de théâtre (sans rencontrer de succès du public toutefois). A bien scruter sa biographie, on s’aperçoit aussi qu’il fut l’auteur lointain d’un roman policier, remarqué et récompensé, genre qu’il ne désira cependant pas explorer plus avant.

C’est avec un gros pavé de près de huit-cent pages que ce joli tour de force est réalisé. Une longue observation des années soixante par un adolescent qui, peu à peu, découvre la véritable difficulté du monde qui l’entoure.

La meilleure façon de rendre compte du climat de ce roman ambitieux et très réussi est de le faire autour de la double assertion du mot « échecs ». Plus passionné par le baby-foot et la photographie que par ses études à Henri IV, le jeune Michel Marini échoue un jour par hasard dans l’arrière-salle d’un bar-brasserie du côté de Denfert-Rochereau. Quelle n’est pas sa surprise d’y trouver Jean-Paul Sartre et Joseph Kessel se livrer à une partie d’échecs au beau milieu d’une bande de réfugiés de l’Europe de l’Est tentant de dialoguer dans un Français plus ou moins chaotique quand ils ne s’invectivent pas dans leurs langues respectives générant une immense cacophonie.

Dès lors, la découverte du jeu, sa pratique deviennent un moyen d’apprentissage et plus encore un prétexte à rencontrer des hommes particulièrement maltraités par la vie, victimes des mécanismes totalitaires que les odieux régimes communistes d’alors avaient déployé à leur encontre. C’est toute l’histoire stalinienne qui peu à peu se dévoile, pudiquement, comme une somme de secrets difficiles à révéler parce qu’honteux et lourds.

Les échecs, ce sont aussi ceux des déceptions, des erreurs, des ratages que la vie réserve à tout un chacun. Echec à comprendre ce qui a pu pousser son frère à tout plaquer pour s’engager dans l’armée et partir faire la guerre en Algérie. Echec à sortir d’une relation ambigüe avec la petite-amie du frangin qui, par ailleurs, lui ouvre le monde de la photographie. Echec du couple parental qui, à force de tensions, de rancoeurs et pour des questions d’origine sociale si différente va finir par exploser sous les yeux d’un adolescent impuissant. Echec des réfugiés réunis par la passion commune d’un jeu à pouvoir maintenir des relations humaines apaisées car le passé, mal enterré, resurgit avec la puissance tellurique des éruptions volcaniques.

Guenassia aurait pu facilement se perdre, et ses lecteurs avec, face à une telle ambition. Il parvient à maintenir une cohérence, une lisibilité, une unité romanesque totale entre tous ses personnages qui s’agitent avec la frénésie d’une société portée par la volonté de reconquête, croyant encore pour peu de temps en un avenir radieux. D’incorrigibles optimistes en dépit de tout. Arriveront l’indépendance de l’Algérie, Mai 68, le choc pétrolier qui finiront, de fil en aiguille, à nous mener au désastre moral et politique actuel…


Publié au livre de Poche – 2009 – 731 pages