29.11.10

La bulle cauchemar – Sylvie Weil


Un nouvel auteur, encore méconnu et qui mérite d’être découvert. Sylvie Weil est née aux Etats-Unis et a grandi en France, pays entre lesquels sa vie s’est partagée. Ce n’est que récemment (2002), après une carrière dans l’enseignement dans des collèges des états de New-York et du Vermont, qu’elle a décidé de se consacrer à l’écriture.

Autant dire qu’une importante part autobiographique se retrouve dans « La bulle cauchemar ».

Elsa est une mère qui fut mariée à un Français dont elle eut un fils, Julien. Elle vit à New-York et assiste, impuissante et désespérée, au rapt de son fils par une porto-ricaine excentrique, autoritaire, délurée mais sympathique.

Dans ce court roman très introverti (nous sommes dans la tête d’Elsa), l’auteur nous donne à réfléchir au lien si particulier qui peut unir une mère, juive, possessive, protectrice et son fils. Un fils qui connut une enfance des plus difficiles, infirme et hanté par une folie qui lui valut plusieurs internements.

Une vie qui a enfermé Elsa dans sa « bulle cauchemar » : une vie de phobies, d’angoisses de voir son fils disparaître ou ne jamais exister en tant qu’individu autonome. Une vie sans sommeil, sans joie et dont le sens fut tout entier voué à un fils qui la trahit.

Car le sentiment d’Elsa est bien que Julien la trahit d’abord en la quittant pour une femme, ensuite, et surtout, pour cette femme qui n’est certainement pas celle dont elle avait rêvée, qu’elle avait même inventée pour son fils.

Autant l’idéale fille Goldstein que son psychisme avait patiemment construit pour son fils était modeste, réservée, dévouée toute entière à un fils délicat, autant Linda, la future belle-fille, est une véritable tornade qui se moque des conventions et qui fait plier son monde, à commencer par Julien, à ses volontés totales, absolues, indiscutables.

C’est à la dizaine de mois qui précède le mariage que nous allons assister. Des mois de bulle cauchemar pour Elsa, des mois pour d’abord refuser l’inéluctable, tenter vainement de le combattre. Puis, des mois pour accepter, rationnaliser, apprendre à aimer une famille exubérante dont certains membres entretiennent avec Dieu un rapport étrange et très intime.

Dix mois pour combattre ses angoisses, se construire une nouvelle personnalité, devenir adulte et belle-mère, plus simplement mère protectrice et castratrice.

Tout cela est fort bien analysé avec beaucoup de tendresse, beaucoup de subtilité et de délicatesse. Jamais on ne sombre dans le mélo dégoulinant ou le roman juif, surjoué et insupportable.

Un roman court, bien fait, émouvant et touchant, qui donne envie d’en découvrir d’autres de ce même auteur.

Publié aux Editions Joelle Losfeld – 148 pages

26.11.10

Le coup du cavalier – Andrea Camilleri


Andrea Camilleri est un maître du roman noir, best-seller adulé en Italie. Avec « Le coup du cavalier », il signe un sympathique roman dont l’intrigue se situe à la fin du XIXe siècle dans une Sicile livrée aux mains de la mafia.

Un jeune inspecteur des finances royales débarque dans une petite bourgade écrasée de chaleur. Il est intègre, dévoué à son pays, fier du rôle qu’il doit jouer.

Pourtant, ses deux prédécesseurs ont connu un sort tragique, assassiné par des mains jamais identifiées, pour des raisons jamais élucidées, l’enquête étant confiée à une police pourrie jusqu’à la moelle.

Grâce à son intelligence, le jeune inspecteur va mettre à jour un trafic juteux autour des moulins à grains soumis à un impôt jugé confiscatoire.

Mais, son attitude intransigeante, sa volonté de mettre à bas un système corrompu vont à son tour lui attirer les pires ennuis. Et c’est cette machination politico-judiciaire que Camilleri va s’attacher à démontrer implacablement. Les éternels ingrédients qui permettent au banditisme de régner sans partage sont parfaitement décrits : corruption généralisée, clientélisme, petits services rendus à rendre au centuple, pressions et intimidations, suppression physique des récalcitrants, tout y passe.

C’est à la fois le contexte historique (la Sicile il y a cent quarante ans, la taxe sur les moulins) et la forme littéraire qui font l’intérêt de ce roman bien construit et qui va réserver son lot de rebondissements palpitants.

En effet, ce roman se déroule en quatre parties bien distinctes. La première dépeint avec précision le contexte et s’attache à mettre en place des personnages souvent pittoresques tels ce curé de village obsédé par ses paroissiennes parmi lesquelles il sélectionne régulièrement ses maîtresses souvent consentantes ou bien encore, cette veuve mangeuse d’hommes qui use de ses charmes pour parvenir à ses fins financières, alternant manipulation, tentation, séduction et sachant ne céder que lorsque son avantage est total.

La deuxième partie est un brillant échange de missives où l’on voit tout le monde politique, juridique et financier mis en émoi ou en appétit, c’est selon, par les révélations faites par le jeune inspecteur.

La troisième partie noue le drame et fait se refermer un redoutable piège sur l’inspecteur dérangeant.

La quatrième partie constitue le dénouement. Un épilogue qui se joue selon une subtile partie d’échecs, d’où le titre, et où simulacre de folie et utilisation des armes de l’ennemi finiront par faire triompher le bien.

On ne s’ennuie pas une seconde à la lecture d’un roman noir solide et qui sort décidément de l’ordinaire. Un roman instructif pour rappeler que les mêmes ficelles continueront de produire les mêmes effets tant que l’humanité laissera se développer en son sein malversations et enrichissements abusifs, bref depuis toujours et pour toujours…

Publié aux Editions Métailié Suites – 217 pages

24.11.10

L’enquête – Philippe Claudel

Un homme, l’Enquêteur, débarque dans une ville anonyme pour mener une enquête sur une série de suicides survenus dans l’Entreprise. Une Entreprise gardée comme un camp militaire et dans laquelle le personnel se comporte de façon incompréhensible, obéissant à des lois absurdes.

Dans la ville, tout semble se conjuguer pour rendre la vie impossible. Les foules compactes suivent des chemins tracés, traverser les voies soulève un torrent d’insultes provenant d’une cohorte d’automobilistes avançant à une incroyable lenteur. Loger dans l’hôtel relève d’un exploit car il faut répondre à un incroyable questionnaire sur un règlement que l’on est sommé d’apprendre par cœur par la Gérante. Une fois passée l’épreuve, les chambres allouées sont proprement inhabitables, le petit-déjeuner absurdement infect, pris dans la promiscuité d’un lumpen proletariat renouvelé chaque matin et abusivement présenté comme des touristes. Encore faut-il passer des heures retenu en garde-à-vue par le Policier qui loge dans un placard à balai et qui est immédiatement au courant de vos moindres actes, punissant sévèrement les écarts les plus anodins, laissant passer les autres.

Sans parler d’un climat qui alterne avec brutalité le froid le plus extrême avec une chaleur insupportable. Sous ce régime, l’Enquêteur va rapidement perdre tous ses repères, toute son humanité pour finir broyé par un système incompréhensible et qui ne semble fabriquer que l’impersonnel, l’inutile, retranchant toute part de joie et d’humanité à ceux qui survivent à un régime absurde.

C’est donc un roman à cheval entre un monde kafkaïen, fait d’une mécanique autonome dont la logique réside dans l’illogique et l’absence de toute réflexion, et un monde huxlien fait d’anticipation et dans lequel l’homme est gommé par un pouvoir tout-puissant.

Un roman fascinant par sa construction, la volonté délibérée de dépouiller l’Enquêteur de tous ses repères, de toutes ses croyances et ses valeurs en le confrontant à une succession de situations qui l’affament, le privent de ses vêtements, de sa liberté de mouvement, premières étapes avant la privation de la liberté puis de la liberté de penser. Un roman pour rappeler que le libre arbitre nécessite démocratie et respect. Un récit pour nous donner à voir que notre société ne mène nulle part si ce n’est à sa perte si elle ne redonne pas sa place à l’individu, au souci du lien social.

Certes, mais face à l’hallucinante séquence finale on peut se demander quel est le propos de l’auteur. Simple fable ou mise en garde ? Philippe Claudel prend bien soin de nous rappeler que « C’est en ne cherchant pas que tu trouveras ». Alors, il reste de l’espoir pour trouver la clé à ce roman étrange mais, qu’au fond, nous avons beaucoup aimé pour son parti-pris d’anticonformisme.

Publié aux Editions Stock – 2010 – 278 pages

21.11.10

Apocalypse bébé – Virginie Despentes


Première rencontre littéraire pour moi avec la sulfureuse Virginie Despentes, connue pour ses romans au vitriol, aux relents de sexe brutal, écrits avec une plume trempée dans l’acide et la destruction d’un viol qu’elle a subi à l’âge de dix-sept ans. Ouvrir un bouquin de cette auteur, c’est donc accepter un parti-pris qui dérange, une vision du monde quasi nihiliste, noire, genre « no future ».

« Apocalypse bébé » ne déroge pas à la tradition et balance une grande claque dans la gueule de ses lecteurs. Il semble bien que Madame Despentes ait ici encore décidé de régler ses comptes avec la société moderne – et en particulier française – bien-pensante. Une société dont il n’est pas difficile de comprendre que, pour elle, elle ne peut être que vouée à l’auto-destruction, minée de l’intérieur par l’hypocrisie et une pourriture de l’âme.

Pour cela, elle recourt à un style d’une extrême violence, mélange inhabituel de français littéraire (assez peu en fait), d’argot, de jargon des banlieues et d’une complaisance crue lorsqu’il s’agit de mettre en scène des moments d’actes sexuels dans toute leur perversité car, dans son esprit, le sexe semble bien ne pouvoir qu’être violent, pornographique et infâmant. D’ailleurs, grande militante de l’homosexualité féminine, seules les lesbiennes trouvent grâce malgré le déchainement de partouzes dans lesquelles Fellini aurait figure de petit garçon.

Drôle de titre cependant pour ce roman qui tue. Mais enfin, passons. Là n’est pas l’essentiel. Ici, on entre à pieds joints dans le monde de la loose, derrière la façade apparente des choses.

Despentes nous projette sans précautions, de plein fouet, dans un road-movie putride entre Paris et Barcelone. Une sorte de thriller social à la recherche d’une adolescente, Valentine, de quinze ans brutalement disparue sans laisser de traces.

Voilà des années que Valentine en faisait voir de toutes les couleurs à son père romancier connu mais auteur de livres au style et aux thèmes décalés, tendance chrétienne de droite, et à sa belle-mère, mal dans sa peau, larguée. Une adolescence trash, avec sexe à gogo et de préférence crade, usage de drogues de plus en plus dures, scènes familiales violentes avec un père dépassé, incapable d’exprimer son amour filial et une belle-mère honnie parce qu’elle a pris la place d’une mère qui s’est enfuie sans un mot et sans jamais donner signe de vie alors qu’elle avait un an.

Pour la retrouver, Lucie, la détective sur le coup, la quarantaine, déprimée, moche, spécialiste des filatures d’adolescents dans les quartiers bourges va faire équipe avec la Hyène. Une fille énigmatique, capable d’une violence physique et psychique incroyable, lesbienne tendance dure, au passé trouble. Un duo fascinant et qui constitue la grande réussite de ce livre parce qu’il a d’improbable et de dérangeant.

L’enquête nous fait descendre dans les bas-fonds de la société. Plus on avance dans le récit, plus V. Despentes nous confronte avec l’intimité de chacun de ses personnages. Une intimité peu reluisante, faite de compromissions, de dépravations et dans laquelle la sexualité joue une place d’autant plus omniprésente qu’elle est a-normale. Chaque personnage est le témoin inconscient d’une société qui se désagrège sous les coups de butoir d’une banlieue qui vit en marge et selon ses propres règles, d’un usage des stupéfiants qui détruit les élites, de la recherche permanente d’une satisfaction individuelle au mépris des intérêts familiaux ou sociétaux. Un monde totalement pourri et où il ne faut pas se fier aux apparences.

Il faudra donc voir la fin surprenante et inattendue comme la parabole de la pensée subversive de l’auteur pour laquelle notre monde semble définitivement condamné.

Un livre qui s’impose à tout lecteur voulant faire connaissance avec un auteur à part dans le paysage littéraire actuel.

Publié aux Editions Grasset – 2010 – 343 pages

20.11.10

Cher amour – Bernard Giraudeau


Première rencontre pour ma part avec cet immense acteur qui se lança tardivement, et avec un succès certain, dans la carrière d’écrivain. « Cher amour » est et fut son dernier livre, celui composé en partie, comme il l’avoue lui-même en toute fin de l’ouvrage, sur un lit d’hôpital, rongé par un cancer du rein qui finira par l’emporter. A ce titre, ce livre constitue un ultime témoignage d’un homme qui se savait en train de mourir mais qui avait la pudeur de le cacher.

Pourtant, j’eus bien du mal, au départ, à rentrer dans ce « Cher amour ». Le livre s’ouvre sur trois belles pages d’une belle écriture, formée à la fréquentation assidue des classiques, à l’apprentissage forcené des textes des plus grands auteurs dont on ne peut sortir indemne tellement ils vous habitent et vous hantent. Trois pages en forme de déclaration d’amour à une femme idéale, fantasmée, Madame T., qui n’existe pas et à qui l’auteur va se confier au fil d’un récit très autobiographique.

B. Giraudeau connut un parcours romanesque. Embarqué à quinze ans dans la Marine Nationale, il passa deux ans sur le navire amiral « Jeanne d’Arc » et fit deux fois le tour du monde. Il y découvrit les continents tout en dévorant, déjà, les plus grands auteurs. Il y fit les découvertes des passions qui démangent les hommes, ses premières fréquentations féminines, plus ou moins tarifées, et se heurta au vertige des multiples cultures qui pullulent sur notre belle planète.

Après cette introduction d’une intense poésie, d’un classicisme exalté, Giraudeau nous emmène de force dans ces successions de découvertes et de rencontres que furent sa vie. Les unités de temps et de lieu explosent alors car nous changeons de continents et d’époques au fur et à mesure que les souvenirs jaillissent. Mais toujours, la pensée de la femme aimée persiste. Et, toujours, le métier de l’acteur et du cinéaste l’entrainent sur de nouvelles routes comme autant de nouveaux prétextes à des découvertes qui fuient le plus possible celles des sentiers battus d’un tourisme moderne balisé.

Certes, les innombrables digressions sur les anecdotes historiques qui traversent son récit en Amazonie rendent la lecture un peu difficile et ont failli me décourager. C’est, à mon sens, la partie la moins réussie du livre. Mais, une fois cette jungle humide et hostile traversée, une fois l’histoire rappelée, faite de massacres et de sacrifices, de confrontations religieuses sur fond de recherche effrénée d’un or inexistant, le récit va trouver un rythme hypnotique et fascinant.

Nous partons alors à la découverte des Philippines, de Djibouti, du Cambodge ou du Vietnam où l’acteur tourne. Et Giraudeau possède un vrai talent de conteur, un œil pour voir différemment, décoder et interpréter les petits gestes anodins qui en disent long. C’est tout simplement sublime !

Fascinante est aussi la confession qui hante le dernier tiers du livre, celle de l’impossible épreuve qui consiste à digérer les mille cinq cents vers d’une terrible complexité de ce Richard III de Shakespeare qu’il faudra deux ans à l’acteur à maîtriser. Au cours de cette laborieuse et usante ingestion, toute situation devient prétexte à être illustrée d’un couplet de vers rassurant la mémoire et stabilisant une épreuve de chaque instant.

En refermant ce livre, on ne peut que vouer un témoignage reconnaissant à cet homme de culture et de générosité, acteur et écrivain, disparu encore jeune et que nous apprenons à connaître dans cette sorte d’ultime confession à la vie et à l’amour.

Ne manquez pas ce livre hors du commun !

Publié aux Editions Métailié – 2009 – 269 pages

12.11.10

Dans la nuit brume – Agnès Desarthe


Dès les premières lignes, Agnès Desarthe sait captiver notre attention, nous faire subir un choc pour mieux nous mener ensuite au cœur d’un récit noir et glaçant, en permanence à l’équilibre entre le fantastique, l’onirique et l’historique.

Le roman s’ouvre sur la mort d’un jeune homme, Armand, dont le corps explose avant d’être réduit en cendres dans l’explosion de la gigantesque boule de feu qui jaillit de sa moto. Armand, le jeune homme idéal, gentil, dévoué, beau et tendre. Armand, l’amant magique de Marina, la jeune fille de dix huit ans de Jérôme, ce cinquantenaire énigmatique que rien ne semble émouvoir et autour duquel tout le roman va graviter.

La mort d’Armand est un choc au moins aussi terrible pour Jérôme que pour sa fille. Son côté inexplicable et insupportable ravive des épisodes douloureux dans la tête de Jérôme. Commence alors une longue plongée dans l’inconscient, la nécessité presque vitale pour Jérôme de savoir qui il est, lui qui a toujours caché à ses proches et au monde qu’il fut un enfant trouvé dans les bois, recueilli puis adopté par un couple. Ce dernier prit un soin méticuleux à ne laisser aucune piste, à leur mort, et à entretenir Jérôme dans une construction mentale de son enfance qui va s’effriter, sous le choc qu’il vient de subir.

Le talent d’Agnès Desarthe, dans ce qui constitue à nos yeux son meilleur livre jusqu’ici, est alors de brouiller les pistes. Pourquoi Armand est-il mort, quel rapport cette mort violente peut-elle bien avoir avec la disparition brutale d’une jeune fille gothique dont le père vendit peu de temps après cette disparition la Triumph qui emporta le jeune homme dans la mort ?

Que peut bien vouloir l’ex-épouse de Jérôme dont il est divorcé depuis dix ans et qui débarque pour l’enterrement d’Armand qu’elle ne connaît pas pour bientôt semer le trouble dans la vie de l’homme qu’elle quitta sans explication ?

Qui est cette femme énigmatique, cette écossaise aux manières sans gêne et au langage crû qui tourne autour de Jérôme sous le prétexte de l’acquisition d’une immonde bâtisse auprès de l’agence immobilière qu’il dirige ?

Pourquoi Alexandre, un inspecteur homosexuel à la retraite, vient-il enquêter auprès de Jérôme sitôt l’enterrement terminé ? Pourquoi ces questions et ces théories sur les disparitions d’adolescents ?

De fil en aiguille et après nous avoir fait emprunter de nombreux chemins de traverse, la vérité sur l’enfance et les parents génétiques de Jérôme va remonter à la surface. Une vérité qui nous plonge dans le Thanatos de l’époque nazie, dans l’enfer des déportations et des camps, dans l’extermination systématique de familles entières. Une vérité qui, de façon systématique, démontrera que la réalité n’est jamais celle des apparences et des projections qu’elle entraine pour l’ensemble des enquêtes qui se croisent et s’entrecroisent dans ce roman singulier et sombre.

On en ressort troublé mais assez admiratif du travail mené.

Publié aux Editions de l’Olivier – 2010 – 211 pages

10.11.10

Longtemps, je me suis couché de bonne heure – Jean-Pierre Gattégno

Une fois de plus, Gattégno réussit en quelques pages à créer un environnement subtil, mélange de poésie, de voyages intérieurs et de réalité sordide qui envoûte le lecteur. Un envoûtement auquel on échappera, et encore, qu’une fois ce superbe roman refermé.

C’est dans la simplicité apparente que Gattégno va puiser ici son inspiration. Sébastien Ponchelet est homme à tout faire dans une maison d’édition. Un job loin d’un domicile en banlieue défavorisée, mal payé et soumis à la torture psychologique d’un petit chef.

Pas trop le choix, car Sébastien sort de prison et vient d’être libéré sous conditionnelle après un braquage à main armée où il s’est laissé entraîner parce qu’il n’a pas osé dire non à un petit caïd.

La vie de Sébastien est banale, attristante : logé chez une pute qui lui ouvre de temps en temps ses cuisses, sans amour, sans tendresse, sans mouvements, il ne connaît ni passion, ni centre d’intérêt. Il est simplement loyal, discret, efficace.

Et puis, un jour sa vie va basculer en tombant par un concours de circonstances sur un manuscrit quasiment illisible, surchargé d’annotations que sa maison d’édition refuse de publier. Un livre où la première phrase, qui donne son titre au livre, le plonge dans un envoûtement et lui fait découvrir un autre monde que celui abrutissant de la télévision vide d’intérêt et que les cuites à la bière.

A partir de là, Sébastien va commencer un parcours personnel initiatique qui va l’amener à avoir un autre rapport aux livres que celui de les classer, les manipuler, les transporter du matin au soir. Un rapport fait de rêves, de poésie, de plongée totale, abandonnée, absolue dans un ouvrage qui sait vous captiver.

Gattégno se livre sans emphase, simplement, à une analyse approfondie du rapport de l’auteur au lecteur, du support au contenu, des mots à la pensée parallèle qu’ils entrainent chez ceux qui les découvrent et en qui ils raisonnent.

De là, Sébastien va progressivement ouvrir son cercle relationnel, découvrir les femmes et comprendre que l’amour est avant tout fait d’émotions dont il a tout ignoré jusqu’ici.

Parce qu’il a partagé la cellule VIP du plus grand voleur de tableaux vivants, il fut initié à la peinture et à la lecture que son codétenu de luxe pratiquait avec avidité, moyen intellectuel de s’évader d’un univers dénue de sens.

Leurs parcours vont encore se croiser et Sébastien va devoir affronter de multiples épreuves pour choisir le sens ultime qu’il souhaite donner à sa vie. Sera-t-il un éternel mauvais garçon, acceptera-t-il de se lancer à la découverte des univers artistiques et du monde des émotions insoupçonnées jusqu’alors.

Gattégno brosse ici un magnifique roman sur le désir, la capacité à dire, les inhibitions, l’importance des rencontres qui bouleversent une vie. Quel sens a la création ? Quel impact a-t-elle sur ceux qui la découvrent ou la subissent ? Quelles lectures d’une même œuvre avoir et pourquoi ?

Autant de thèmes qui sont abordées dans ce livre avec pudeur, sans forfanterie, enveloppés dans un univers drôle malgré la sordidité dont il est empreint.

Définitivement et absolument recommandé par Cetalir.

Publié aux Editions Actes Sud -271 pages

5.11.10

Sang chaud, nerfs d’aciers – Arto Paasilinna


Après les succès retentissants, entre autres, de « Petits suivcides entre amis » ou bien encore « Le lièvre de Vatanen » (dont vous trouverez la note de lecture sur Cetalir), l’écrivain finlandais A. Paasilinna nous livre son dernier opus.

Pour une fois, l’auteur quitte un peu son ton humoristique, délaisse les gags ou les situations cocasses en série pour se lancer dans une fresque familiale historique sur deux générations qui se superposent avec les pires heures que la Finlande ait connu au XXème siècle.

Le roman s’ouvre quelques semaines avant la naissance de Anti Kokkoluoto chez l’accoucheuse du village, veuve et robuste femme, chasseuse de phoques et devineresse, sorte de sorcière que tous admirent et redoutent pour sa capacité à prédire l’avenir. Elle annoncera aux parents de Anti que celui-ci naîtra au moment où la Finlande plongera dans la guerre civile de 1918 et vivra jusqu’à l’âge, alors canonique, de soixante dix ans.

C’est cette période qui nous mènera jusqu’en 1990 que nous allons traverser sous la plume alerte de Paasilinna. Elle nous donnera à voir un pays dont nous savons ici peu de choses. Un pays secoué par d’énormes tensions internes entre suédophones et finnois augmentées de nouvelles tensions entre les Blancs, partisans d’une liberté plus ou moins adossée à la Suède, et les Rouges, qui ne jurent que par la Russie communiste toute proche. Un pays qui s’écroulera lors de la crise de 1929, plongeant des milliers de familles paysannes dans la plus profonde misère, qui verra l’effondrement du peu d’industries qu’elle comptait et favorisera, de ce fait, l’émergence des chemises brunes fascistes.

De fait, la Finlande sera l’alliée de l’Allemagne durant la seconde guerre mondiale, repoussant les attaques russes dans un premier temps malgré une écrasante infériorité numérique. Puis, elle tournera casaque et rejoindra le camp des vainqueurs tout en payant un très lourd tribut de guerre à la Russie Stalinienne qui aura fini par venir à bout d’une résistance patriotique qui aura fait de très nombreuses victimes.

Anti et son père, un petit commerçant rusé, marié à la plus belle femme du village, l’institutrice, se trouveront mêlés, comme bien d’autres, à tous ces faits historiques. Loyaux et malins, ils sauront, avec des fortunes diverses, tirer les marrons du feu sans échapper, pour des durées plus ou moins longues, aux geôles finnoises ou russes au gré des circonstances.

Le père d’Anti, habile spéculateur, saura s’enrichir au-delà de toutes espérances sans perdre son âme tout en ayant su faire les bons choix politiques, y compris par le coup de poing car les Finlandais sont bagarreurs. Anti apprendra à devenir adulte, laissant le sang chaud de son père parler, lorsque de besoin, et faisant preuve de nerfs d’acier dans les circonstances de guerre, de grèves, de conflits qui vont jalonner sa vie. Il finira entrepreneur, député et ministre, respecté de tous.

Paasilinna possède un talent inné de conteur qui s’exprime ici une fois encore. On suit donc avec intérêt l’histoire de cette famille au fur et à mesure que la grande Histoire s’écrit. On y vit, on y meurt. On en tire parti ou non. Comme partout, le destin individuel est une affaire de circonstances et de talents.

Publié aux Editions Denoël – 2010 – 218 pages

2.11.10

Christine Lagarde – Enquête sur la femme la plus puissante de France – Cyrille Lachèvre et Marie Visot

Réalisé par respectivement le rédacteur en chef et une journaliste du service économique du Figaro, deux journalistes qui suivent Madame Lagarde depuis 2005, ce livre nous donne à découvrir qui est cette femme considérée désormais comme l’une des femmes les plus puissantes au monde. Mettons tout de suite les choses au point : ce livre n’est pas un panégyrique d’une Ministre passée du vingt- quatrième rang lorsqu’elle rejoignit le gouvernement Villepin comme Ministre du Commerce Extérieur au quatrième rang depuis qu’elle est Ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi dans le gouvernement Fillon II. Il n’est pas non plus un livre critique sur les cercles de pouvoir. Disons que c’est tout simplement un livre intelligent, assez objectif et qui tente d’expliquer comment une inconnue du monde politique il y a encore cinq ans s’est hissée à la position qu’elle occupe désormais au point qu’elle semble être devenue indispensable au Président de la République.

Pourtant, l’arrivée dans l’arène politique de Madame Lagarde a bien failli lui être fatale. Débarquée la veille des Etats-Unis où elle occupait, à Chicago, le poste de Chairman du groupe d’avocats Baker-McKenzie, ses premières déclarations mirent le monde politique en émoi. Elle n’en connaissait pas les codes et comprit très vite que la stature de Ministre lui ôtait tout droit d’exprimer ce qu’elle pensait. Cela ne l’empêcha pas de multiplier les gaffes ou de tenir, plus tard, des propos lénifiants qui lui valurent les surnoms durables de « Madame La gaffe » ou bien encore celui de « Madame La Marquise » suscité par son élégance et son goût des bijoux.

Alors, pourquoi et comment Madame Lagarde parvint-elle à survivre à tous les gouvernements depuis cinq ans et à rejoindre le club très fermé des occupants de Bercy à y avoir séjourné au moins trois ans d’affilée ?

Les auteurs nous donnent une réponse détaillée et circonstanciée à cette question. Tout d’abord, Madame Lagarde est une femme d’une grande loyauté, au service des Présidents Chirac puis Sarkozy parce qu’avant tout, elle sert la France dans le respect d’une conviction de droite libérale. Loin des partis (bien que membre de l’UMP, elle s’en tient distante), elle ne vise d’autres intérêts que celui de servir les intérêts nationaux n’hésitant pas à sacrifier au passage vie personnelle et avantages que lui procuraient son statut précédent.

Ensuite, parce qu’avocate de formation, Madame Lagarde a développé des talents de négociatrice hors pair, reposant sur une connaissance approfondie des dossiers et la capacité à entretenir des relations interpersonnelles cordiales avec les interlocuteurs qu’elle côtoie.

Aussi, parce que sa maîtrise parfaite de l’Anglais lui vaut la reconnaissance internationale et que sa personnalité combinée à son intelligence ont permis plus d’une fois de trouver des solutions improbables à des situations de négociation internationale d’une extrême complexité.

Enfin, et c’est sans doute là la partie la plus captivante du livre, parce qu’elle a joué un rôle critique, aux côtés de Nicolas Sarkozy, dans la sauvegarde des banques françaises qui ont bien failli disparaître à jamais dans la tourmente financière, que son sang froid et son réseau lui ont permis de coordonner des décisions vitales pour éviter la plus grande crise mondiale qui aurait plongé le monde plusieurs siècles en arrière. Enfin parce qu’elle a su faire ce qu’il fallait pour sauver l’Euro qui faillit bien disparaître, avec toutes les conséquences catastrophiques facilement imaginables lors de la récente crise grecque, en convainquant celles et ceux qu’il fallait dans un laps de temps extrêmement court.

Madame Lagarde est enfin, et surtout, une femme de caractère. Un caractère qui s’est trempé au cours d’une éducation classique et rigoureuse, laissant peu de place à l’improvisation. Puis qui s’est renforcée par la pratique intensive de la natation synchronisée, notre Ministre étant une ex vice-championne de France en la matière. Son esprit d’équipe développé par la pratique du sport collectif et son sang-froid lui valent dès lors le respect de tous d’autant que, ne faisant pas de politique et s’en tenant aux dossiers, elle n’a pas d’ennemis politiques.

Alors bien sûr, il reste une face plus sombre, celle de sa vie personnelle, évoquée avec pudeur ici ou là. Consacrer sa vie à sa réussite professionnelle lui valut son divorce, le regret de n’avoir jamais vraiment pu s’occuper de ses enfants, une vie sentimentale difficile.

Une fois le livre refermé, on ne peut s’empêcher d’éprouver un immense respect pour cette femme hors du commun, discrète et efficace, grand serviteur de l’Etat dont il est probable qu’elle connaîtra un destin hors du commun.

Publié aux Editions Michel Lafon – 2010 – 333 pages