30.7.16

Landfall – Ellen Urbani


Landfall signifie en anglais le fait pour un bateau de revenir à quai ainsi que le phénomène météorologique grâce auquel une tempête formée en mer se transforme en cyclone une fois arrivée sur les terres. C’est ce phénomène qui a donné lieu, entre autres, à Katrina, plongeant la Nouvelles-Orléans dans une dévastation inégalée jusque-là et dont il sera amplement question dans le roman d’Ellen Urbani.

Un moment d’inattention peut avoir des conséquences insondables. Parce que Gertrude se chamaillait avec sa fille, Rose, qui avait résolu de poser ses pieds nus sur le tableau de bord de la voiture de sa mère, celle-ci va soudainement en perdre le contrôle et heurter de plein fouet un pin, transperçant la conductrice qui va mourir sous les yeux de sa passagère indemne. S’extirpant à grand peine de la voiture fracassée, Rose va mettre les pieds sur un cadavre ensanglanté : le corps d’une jeune femme noire que la voiture accidentée aura malencontreusement percutée à un endroit où elle n’aurait jamais dû se trouver.

Une fois secourue et sa mère enterrée, commence pour Rose un long travail de deuil qui passe par un irrépressible besoin de se faire pardonner en comprenant qui était la jeune femme tuée accidentellement. Un travail délicat puisque la défunte n’avait en tout et pour tout sur elle qu’une carte de visite, le ticket d’un repas pris dans un restaurant et une page arrachée à un annuaire ; ainsi que de nombreuses traces de violence non liée à l’accident témoignant d’une lutte acharnée pour se protéger.

Plus l’enquête de Rose avancera, plus des similitudes troublantes sembleront survenir entre ces deux jeunes femmes, l’une morte, l’autre survivante. Une recherche commencée comme une tentative de réconciliation avec elle-même et qui va peu à peu muer en un besoin de mieux comprendre celle qu’elle est, elle qui fut élevée par sa seule mère sans que celle-ci ne lui ait révélé d’informations substantielles sur celui qui est son père.

La force du roman d’Ellen Urbani est multiple. Tout d’abord, l’auteur parvient brillamment à rendre compte du travail de deuil, mêlant réminiscences de scènes vécues à l’action en cours, celle-ci favorisant celles-là, passant sans qu’on n’y prenne garde de l’un et l’autre ce qui peut d’ailleurs parfois rendre la lecture un peu compliquée si le lecteur ne se montre pas attentif. Ensuite, il y a là la mise en lumière d’un problème endémique aux Etats-Unis, celui d’un racisme plus ou moins larvé, carrément souvent explicite dans les Etats du Sud, maintenant dans une pauvreté extrême toute une partie de la population afro-américaine. On y trouvera ensuite une narration détaillée, directement inspirée de la lecture attentive d’une foultitude de matériaux que l’auteur référence en annexe, de la façon dont Katrina fut annoncé, géré, des graves désordres qu’il engendra et de la façon honteuse dont une foule essentiellement afro-américaine ayant tout perdu, cherchant son salut dans un flux migratoire immense sous l’influence des autorités de la Nouvelle-Orléans se vit traitée par une petite ville à majorité blanche de la banlieue, bien décidée à empêcher ce qu’elle considérait comme de la pure racaille de pénétrer sur son territoire. Tous ces éléments nourrissent de façon logique, sans jamais sembler collées de force, les pièces d’un gigantesque puzzle dont le mystère, inattendu, nous sera révélé en toute dernière page.

La seule réserve importante que l’on pourra formuler tiendra à la relative confusion du début et au fait qu’il faut passer la première centaine de pages pour que le rythme s’installe vraiment et que l’on se sente alors entrer entièrement dans un roman de plus en plus captivant. Sans doute Ellen Urbani et son éditrice ont-elles voulu rendre compte de cette manière hésitante la difficulté d’une enquête et d’une réadaptation à la vie quand on a tout perdu. Mais plus de concision aurait immanquablement conféré plus de force à ce premier roman par ailleurs plutôt réussi et à découvrir. Merci, une fois de plus, à Gallmeister de donner sa chance à une représentante de cette nouvelle génération d’écrivains américains talentueux ainsi qu’il s’en est fait une spécialité.


Publié aux Editions Gallmeister – 2016 – 304 pages