24.7.20

L’étrangère – Sándor Márai


Sándor Márai est considéré comme l’un des plus grands écrivains de langue hongroise et l’un des écrivains majeurs de la littérature européenne du XXème siècle. L’étrangère fait partie de ses tout premiers romans qui contribuèrent à le faire connaître dans son pays où il rencontra très vite le succès. Pourtant, à lire ce roman paru pour la première fois en Hongrie en 1934 et traduit en Français seulement en 2010, on éprouve quelques difficultés à considérer qu’il s’agisse d’une œuvre significative d’un écrivain majeur.

 

Au centre du roman se trouve un Français, professeur de langues orientales à l’Université à Paris. Un homme venu seul passer quelques jours de vacances dans un luxueux hôtel de la côte adriatique. Un homme dont le regard, dès le début du roman, est attiré par une femme montant les marches du grand escalier de l’hôtel. Une étrangère dont il ne sait rien. Une femme qui va rapidement l’obséder et causer sa perte.

 

À cela nous comprendrons au fil de pages assez décousues, mélangeant de façon souvent maladroite le récit au présent avec les souvenirs qui affluent sans cesse, que l’homme est en proie à une profonde dépression. Une situation qu’il a générée lui-même, sacrifiant un mariage sans histoire mais sans véritable passion, un mariage bourgeois comme ils s’en faisaient couramment dans la bonne société parisienne du début du siècle précédent, pour une aventure passionnée avec une danseuse. Une aventure qui, par le détachement de lui-même éprouvé par cet homme, par une irréfragable pulsion inconsciente d’autodestruction et de suicide social, s’achèvera aussi bizarrement qu’elle aura commencé. Entretemps, le mariage bourgeois aura été de même détruit malgré la bonne volonté évidente de l’épouse bafouée de passer l’éponge.

 

C’est pour se remettre de cet état dépressif et suicidaire que le professeur en congé sabbatique se trouve dans cet hôtel. Mais rien, loin de là, ne se passera comme ses amis et lui-même l’avaient vaguement espéré. Tout cela à cause d’une étrangère venue troubler l’esprit très perturbé d’un homme dont tous les mécanismes semblent baisser la garde l’un après l’autre.

 

Tout cela reste in fine assez brouillon et confus faisant de cette parution une curiosité qu’on risque de lire sans véritable intérêt.

 

Publié aux Éditions Albin Michel – 2010 – 223 pages

 

 

20.7.20

Les empreintes du diable – John Burnside


Ravel en a fait une esquisse pour piano. Les habitants de la petite bourgade écossaise de Coldhaven, un beau matin il y a fort longtemps, lorsqu’ils découvrent leurs champs couverts de neige, immaculés, portant juste quelques traces de pas sur la neige en feront pour leur part une légende invoquant le passage du diable.

 

De cette croyance semble naître depuis toute une série d’évènements funestes. Pour Michael Gardiner, le narrateur, tout commencera avec l’installation de ses parents dans cette petite ville côtière, située loin de tout. Une ville qui les rejettera par xénophobie (sa mère est américaine, son père anglais) et par jalousie (son père est un célèbre photographe et la famille est aisée tandis que le milieu environnant est celui de la petite bourgeoisie aux moyens limités).

 

Mais, rapidement, ce sont les morts violentes complétées d’échecs cuisants qui viendront prendre le relai. Décès de la mère de Michael dans un accident de voiture mystérieux, décès d’un camarade de classe du jeune Michael dont nous apprendrons les circonstances très particulières et coupables, décès de son ancienne petite amie qui se suicide dans des circonstances tragiques avec ses deux filles. Décidément, le diable semble bien frapper régulièrement et laisser ses empreintes.

 

Dès lors, la vie de Michael semble tourner à vide. Sans occupation professionnelle, vivant de ses rentes, il navigue entre une épouse avec laquelle une distance insondable s’est installée, une femme de ménage qui s’applique à lui raconter tous les ragots du coin et ses rêveries, ses doutes, ses angoisses. Un cocktail qui finira par tout faire exploser et l’entraîner dans une cavalcade triste comme la société britannique qu’il rencontre, morne comme les paysages anonymes qu’il traverse, décevant comme les personnages qu’il y côtoie et qui le trompent.

 

Tant de noirceur finit par coller à la plume de l’auteur et rendre la lecture de ce roman étrange, presque cauchemardesque parfois, assez pesante. Toujours est-il que John Burnside s’y révèle une fois encore un talentueux portraitiste et un analyste sans concession d’un monde sans joie.

 

Publié aux Éditions Métailié – 2008 – 218 pages

19.7.20

Redrum – Jean-Pierre Ohl


Voilà un livre des plus bizarres dont je ne saurais dire s’il est franchement raté ou seulement réservé à un public particulier… Un public qui serait exclusivement formé de cinéphiles adeptes des films de genre de préférence remontant à assez loin dans le temps ainsi que, tout particulièrement, appréciant les films de Stanley Kubrick auquel ce roman rend un hommage explicite. Ceux qui se souviennent en détail de Shine comprendront par conséquent du premier coup le titre….

 

Toujours est-il qu’un petit groupe de ces cinéphiles improbables, publiant dans d’obscures revues, officiant dans d’obscures institutions, assez imbus d’eux-mêmes et globalement jaloux les uns des autres se retrouvent invités par un mécène sur l’île qu’il possède au large de l’Ecosse.

 

L’homme en question a fait fortune en inventant un procédé permettant de conserver vivants, sous forme d’hologrammes interactifs, les morts, du moins celles et ceux capables de se payer ce luxe. Il entend réunir ce petit sérail d’experts cinéphiles alors qu’un conflit mondial semble sur le point de ravager notre planète. Tandis que le monde tressaille d’attaques et de provocations en tous genres, le petit groupe d’experts se trouve accueilli individuellement par des créatures qui sont autant de sosies parfaits des acteurs ou, surtout, actrices ayant de toujours fait fantasmer les participants.

 

Réunis en huis-clos, hors du monde, sur une île désertée de tout habitant, seulement peuplée de moutons et gouvernée par un homme riche, puissant et dont les intentions semblent aussi obscures que les salles fréquentées par ses invités, tout ce petit monde va vivre une expérience qui n’est pas sans rappeler plusieurs des scenarii des films de Kubrick.

 

Toutefois, à vouloir copier un génie du septième art, on prend le risque de faire pâle figure et c’est ce qui arrive quelque peu avec ce roman dont on peine à suivre la trame et qui, jamais, ne m’a emballé. Je m’y suis même assez profondément ennuyé, n’adhérant jamais à ces empilements d’improbables et à une atmosphère de plus en plus pesante et collante où les monstres en tous genres, humains ou fictifs, ne cessent de surgir de manière assez ridicule.

 

Publié aux Éditions Folio SF – 2012 – 228 pages

16.7.20

Les émotions cachées des plantes – Didier van Cauwelaert


Les lecteurs qui aiment Cauwelaert le savent : l’homme est attaché depuis de nombreuses années aux plantes, à leurs mystères, à leur vie secrète au point d’en avoir fait le thème central de nombreux romans.

 

Délaissant l’univers romanesque, cet amoureux de la nature prend ici la plume pour rédiger un savant petit fascicule qui traite des émotions cachées des plantes. Derrière ce terme un peu énigmatique se préparent des pages très détaillées, écrites avec un esprit scientifique sur les infinies et subtiles stratégies déployées par les plantes (fleurs, arbres, plantations en tous genres) pour s’associer avec d’autres espèces afin de prospérer, de combattre leurs prédateurs ou de limiter leur expansion dans un souci presque malthusien. On y fait des découvertes stupéfiantes sur les stratégies de coévolution et les mécanismes de régulation ou d’auto-adaptation d’un univers qui représente une part essentielle de et à la vie sur notre planète.

 

L’auteur y adjoint, à l’appui de témoignages qui interpellent, un vibrant appel à ce que l’homme cesse la destruction de ce qui assure sa survie. Ce qui se passe en Amazonie est à ce titre absolument catastrophique sans parler des destructions massives de terres pour extraire métaux rares en Chine et du pétrole aux États-Unis. Faudra-t-il attendre l’inévitable catastrophe écologique majeure pour que l’homme cesse de se comporter en ne considérant que des intérêts économiques à très court-terme ? Il est à craindre que oui, malheureusement…

 

En attendant, ce précieux recueil, très agréable à lire, vous renseignera également sur certaines des techniques pour acquérir une main verte et tirer de la nature une source de revitalisation de son énergie.

 

Publié aux Éditions Plon – 2018 – 196 pages

9.7.20

Les cygnes de la cinquième avenue – Melanie Benjamin


Il leur avait donné un surnom : les cygnes. Ces grands oiseaux blancs, majestueux, relativement indolents ne se mélangeant pas au reste de la faune des lieux qu’ils fréquentent. Lui, c’est Truman Capote, le trublion littéraire du New-York des années soixante et soixante-dix. Elles, les cygnes, ce sont ces femmes superbes, drapées dans les plus belles robes des plus grands couturiers (français, de préférence !), maquillées à la perfection, mariées aux hommes les plus riches et les plus puissants de l’Amérique, portant les noms les plus fameux, riches à outrance.

 

Un accès au sommet de la société américaine permis par une amitié improbable. Celle d’un homme alors encore jeune, encore beau comme un dieu, efféminé comme une caricature, manipulateur et charmeur, surdoué des lettres, ambitieux ne reculant devant rien, j’ai nommé Truman Capote, avec l’icône de la mode américaine, la grande et sublime Babe Paley mariée à William Paley, le fondateur de CBS, un des hommes les plus riches des États-Unis.

 

Entre ces deux, une amitié fusionnelle s’installera. L’ambitieux Capote y trouvera la clé lui ouvrant les portes du monde. La fragile Babe, le regard d’un homme lui portant un réel intérêt, toujours à la limite d’une passion amoureuse que sa sexualité lui interdira. Grâce à Babe, Capote récoltera auprès de ses cygnes une série intarissable de ragots et rumeurs dont il raffolait autant qu’il les alimentait sournoisement, source constante d’inspiration romanesque pour celui qui se définissait comme le fondateur du roman non-fictionnel.

 

Tout fonctionna à peu près bien entre un Capote devenant une gloire littéraire que l’on s’arrache et une Babe enfermée dans une vie en apparence insouciante, en réalité ennuyeuse et source de constantes frustrations. Du moins, jusqu’à la parution d’une nouvelle dans la revue Esquire « La côte basque » en octobre 1975. Une nouvelle faisant elle-même suite à un bal mégalomaniaque, conçu par Capote en son propre honneur, où il se fit une noria d’ennemis. Dans la nouvelle, il commit l’irréparable en trahissant les secrets d’alcôve de ses cygnes, mettant au grand jour leurs turpitudes et celles de leurs maris volages. Un crime de lèse-majesté qui signa son suicide social et finit de le précipiter dans la décrépitude qu’un alcoolisme compulsif, doublé d’un abus de drogues et d’une sexualité aussi vulgaire que dangereuse ne firent que l’accélérer.

 

Formidablement documenté mais pour autant entièrement imaginé tant dans les dialogues imagés que les scènes hautement réalistes élaborées par Melanie Benjamin, ce roman nous plonge au cœur d’un monde oublié mais qui continue d’exister, sous des formes modernes, partout où l’art, l’argent, le pouvoir et les belles femmes se mélangent pour former des associations pas toujours sincères.

 

Publié aux Éditions Albin Michel – 2017 – 425 pages

 

7.7.20

Trois ex – Régine Detambel


Vivre avec un artiste, qui plus est un génie, est rarement une sinécure. Quand l’homme s’appelle August Strindberg, misogyne incorrigible, cela ne peut que tourner au cauchemar pour les femmes qui se sont laissé séduire au point d’en devenir l’épouse.

 

Au cours de sa vie d’adulte, Strindberg contracta trois mariages. Trois tentatives qui toutes tournèrent à la catastrophe et s’achevèrent par un divorce toujours demandé, et obtenu, par des épouses ayant épuisé toute patience et toute tolérance. C’est que l’homme est abominable, imbu de son génie, persuadé de sa supériorité absolue, alcoolique compulsif, à moitié fou, imprévisible et la plupart du temps sans le sou. Et pour alimenter son œuvre, il ne trouve rien de mieux que de s’inspirer sans vergogne des femmes qu’il aura aimées et épousées pour aussi vite les détester et les rendre sous des traits assassins dont elles ne peuvent qu’être choquées.

 

Trois femmes, trois ex, dont nous suivons sous la plume documentée et inspirée de Régine Detambel, la vie mouvementée du temps de leur cohabitation avec Strindberg. Trois femmes qui virent la vie à deux, souvent suivie de grossesses non nécessairement désirées, se transformer en enfer sur terre du fait des emportements incessants et exponentiels d’un homme qui se sentait méprisé, injustement non reconnu et en faisait payer le prix à ses muses.

 

Le succès, la gloire et la fortune finirent par arriver. Mais il était trop tard pour ces trois ex qui toutes avaient mis la plus grade distance avec un écorché vif invivable. Un beau roman fort bien documenté de Régine Detambel.

 

Publié aux Éditions Actes Sud – 2017 – 141 pages

 

 

1.7.20

La vigne écarlate – Vincent Borel


 

Plus d’un siècle après sa mort, Anton Bruckner reste un compositeur mal connu et pas toujours apprécié des mélomanes. Pourtant, ce fut un génie, probablement aussi grand que Wagner qu’il adulait, dont les partitions bouleversèrent de manière radicale l’approche principalement symphonique.

 

Vincent Borel, dans ce magnifique petit recueil, nous donne à mieux connaître ce compositeur atypique. Un homme, orphelin de père, qui fut placé très jeune dans une école religieuse où il révéla sans tarder une fascination pour l’orgue, une oreille absolue exceptionnelle, un goût pour l’étude et la discipline que sa dévotion religieuse ne faisait que constamment encourager.

 

Derrière cet aspect de ce que nous qualifierions désormais d’enfant précoce se cachaient aussi bien des fissures qui handicapèrent Bruckner toute sa vie. Un manque de confiance en soi qui lui faisait sans cesse rechercher l’approbation de ses pairs, se livrer à d’épuisants exercices visant à parfaire sa technique et, plus tard, à remanier constamment ses partitions dont il n’était jamais satisfait. Un handicap exacerbé par une incapacité à se comporter normalement en société, n’en comprenant pas les codes qu’il honnissait sans doute inhibé par une forme d’autisme qui le poussait à compter sans cesse les moindres détails de ce qui l’entourait, les feuilles sur les arbres, les arbres, les perles des colliers de femmes, les fenêtres afin de se calmer et de limiter ses compulsions. Les femmes lui restèrent un grand mystère. Lui, toujours prompt à s’enflammer pour une belle femme surtout si elle portait une robe d’un bleu bien particulier, restera puceau toute sa vie, incapable de comprendre comment fonctionnaient les codes et les règles de la bonne société.

 

De son vivant, il fut surtout reconnu comme un organiste de génie, probablement le plus grand de son époque capable de faire sonner comme personne tous les instruments auxquels il s’essaya. Également, comme un professeur adulé par sa petite troupe d’admirateur parmi lesquels Wolf et Mahler entre autres, amusant la galerie par son approche parfaitement non-académique au sein d’une institution guindée. Mais, comme compositeur, il lui fallut attendre sa septième symphonie pour qu’on vît enfin en lui un génie musical. Toutes ses œuvres précédentes furent des flops retentissants, souvent même des outrages cuisants envers sa personne détestée de Brahms et du principal critique musical qui faisaient à eux deux la pluie et le beau temps du Vienne musical.

 

C’est ce personnage attachant, aussi génial que sensible et un brin cinglé dont nous suivons les pas mis en scène avec élégance, drôlerie et force détails brillamment servis par une écriture aussi riche et raffinée que la musique de l’homme qu’elle décrit.

 

Publié aux Éditions Sabine Wespieser – 2018 – 210 pages