22.12.19

France – Chine Les liaisons dangereuses – Antoine Izambard




Trouver sa voie, quand on est une puissance moyenne sur le déclin, face à une grande puissance, en pleine ascension, aux ambitions tentaculaires et au pouvoir central fort est un exercice dont on connaît d’avance le gagnant et le perdant.

Antoine Izambard, dans un ouvrage très documenté et détaillé, passe en revue les multiples domaines où une guerre larvée, constante, âpre, se livre entre une Chine à l’affût de toute opportunité et une France dont la technologie et le savoir-faire scientifique intéressent au plus haut point l’industrie et le pouvoir chinois. Pour structurer ce plan de bataille chinois multi-facettes, le pouvoir a mis au point son projet des « Nouvelles Routes de la Soie ». Un programme doté de plus de 1000 Milliards de dollar d’investissements d’ici à 2050 et qui vise ni plus ni moins qu’à prendre le contrôle le plus absolu possible des ports, des aéroports, des lignes ferroviaires, des mines, des technologies permettant d’assurer autonomie et prédominance à l’Empire du Milieu.

Un programme qui s’appuie sur un espionnage industriel intense, des déstabilisations économiques et politiques indirectes, le rachat rampant, presqu’invisible, d’acteurs essentiels des chaînes de sous-traitance dans le domaine de l’énergie et de la technologie. Un programme qui a fait de l’Afrique son terrain de prédilection échangeant le contrôle des matières premières contre des prêts asservissant totalement des pays qui commencent à se rendre compte du piège qui se referme sur eux. Un programme qui joue de la naïveté européenne qui, au nom du libre commerce et du libéralisme, a laissé la Chine imposer ses règles du jeu sans contrepartie et embarquer des petites puissances satellites dans des actions induisant une dépendance grandissante envers la Chine et un séparatisme qui tait de moins en moins son nom. Un programme où la puissance militaire, en particulier navale qui est aujourd’hui le maillon faible du dispositif, finira de faire de cet immense pays une menace de plus en plus grande sur le reste du monde.

La France fait ce qu’elle peut mais a souvent baissé les armes face à l’ampleur du phénomène. Elle tente de limiter la casse. Seule, elle ne peut pas grand-chose. La réaction nécessite une coordination européenne urgente et déterminée et une alliance, quoi que l’on puisse penser de Trump, avec une Amérique qui, elle, a décidé de frapper fort et qui en a les moyens. Sans alliance, nous serons les inévitables victimes collatérales…

Publié aux Editions Stock – 2019 – 251 pages

20.12.19

Chroniques de l’espace – Jean-Pierre Luminet



L’astrophysicien Jean-Pierre Luminet a tenu sur France Inter une chronique hebdomadaire tout au long de l’été 2019 consacrée à l’espace. Ce sont les textes de ses interventions que nous retrouvons ici. Une excellente occasion d’en prendre connaissance pour celles et ceux qui les auraient manquées ou de les redécouvrir pour les autres.

De façon très pédagogique, allant à l’essentiel pour des raisons de minutage à l’antenne, chaque texte nous plonge à la découverte de l’un des innombrables mystères, défis ou l’une des questions essentielles auxquels la communauté scientifique tente encore de répondre sur l’univers. Nous y suivons, dans une première partie, toute la passionnante odyssée opposant Etats-Unis et URSS en pleine guerre froide pour conquérir l’espace et être le premier à poser le pied sur la lune. Un match nul au bout du compte quand on compare le nombre incroyable de prouesses scientifiques et technologiques accomplies de part et d’autre !

Toute la seconde partie est dédiée à un ensemble de questions sur la formation de l’univers, les trous noirs, la courbure de l’espace-temps, les voyages interstellaires, les colonisations potentielles de planètes, l’exploitation de météorites géantes etc…

Le tout se lit facilement, avec une délectation certaine. L’ouvrage conviendra aussi bien aux lecteurs désireux d’aborder certains points essentiels qu’aux autres ayant déjà une première connaissance sur le sujet et qui trouveront alors là une reformulation simple de concepts souvent effroyablement complexes.

Publié aux Éditions Cherche Midi – 2019 – 175 pages

17.12.19

Le ghetto intérieur – Santiago H. Amigorena




Depuis des décennies Santiago H. Amigorena vit avec une angoisse dévorante. Un mal qui, faute de pouvoir l’énoncer, l’étouffe. En 1998, il entreprend de commencer la rédaction de ce qui va devenir, un quart de siècle plus tard, « Le ghetto intérieur ». Une version romancée de sa propre histoire familiale, celle de son grand-père, Vicente, Juif Polonais émigré en Argentine dans les années trente. Une façon pour l’écrivain de se délivrer du silence qui l’habite et le ronge.

Lorsque Vicente arrive en Argentine, il n’a qu’une hâte : oublier ses origines juives, pauvres, oublier les humiliations subies en tant qu’officier juif polonais dans son propre pays qu’il avait pourtant vaillamment servi pour faire obstacle aux tentatives d’invasion militaires russes. Son obsession est de s’intégrer au plus vite et de réussir dans sa nouvelle patrie. Un rêve qui prendra forme après avoir épousé la fille d’un fabricant de meubles dont il devient un des revendeurs à succès à Buenos Aires. Père de trois enfants, il file une vie insouciante, loin du bruit et de la fureur qui se déchaînent sous la barbarie nazie en Europe.

Pourtant, peu à peu, un sentiment d’exil et une profonde mélancolie vont s’emparer de Vicente. Une glissade entretenue par la lecture des nouvelles de plus en plus inquiétantes véhiculées par la presse sur l’extermination en cours du peuple juif en Europe. Du souffle sur les braises d’un feu intérieur mal éteint : celui d’avoir laissé sa mère et son frère à Varsovie. Celui de n’avoir pas assez insisté ni mis tout en œuvre pour les sortir de force d’une ville devenue une souricière dans laquelle un nombre effroyable de Juifs est entassée de force en vue de les y faire mourir sous toutes les formes possibles et imaginables. Plus le temps passe, plus la presse se fait alarmante, moins fréquentes sont les lettres échangées avec sa famille. Jusqu’à cesser sans avoir la moindre nouvelle avant d’apprendre indirectement que sa famille a été déportée à Treblinka.

Pendant que ceux restés en Europe sont conduits à une mort certaine, Vicente s’enferme dans un ghetto intérieur qui le coupe du monde. Lui le mari aimant se fait absent et distant. Lui l’entrepreneur audacieux laisse tout tomber. Il s’abîme dans le jeu et l’alcool pour tenter de noyer un sentiment de profonde culpabilité. Ce n’est que par une ultime circonstance, alors que le passage à l’acte semblait inéluctable, que viendra la délivrance et le retour progressif à une existence où vivre avec cette horreur inoubliable redevient progressivement envisageable.

Santiago H. Amigorena signe là un roman profondément intime et humain servi par une écriture aussi directe que délicate, comme un scalpel qui ouvre les chairs pour aller directement au mal.

Publié aux Éditions POL – 2019 – 191 pages

8.12.19

Par les routes – Sylvain Prud’homme


Lorsque Sacha, un écrivain qui se remet d’une rupture amoureuse et qui est en mal d’accoucher de son dernier roman, décide de partir s’installer dans une petite ville du sud de la France, il ne s’attendait pas à tomber par hasard sur son ancien ami que nous ne connaîtrons jamais que sous le nom de l’autostoppeur. Un garçon avec lequel il a sillonné les routes, plus jeune, et avec qui il a mystérieusement rompu, sans plus de nouvelles.

Lors de ces retrouvailles, il fait la connaissance de Marie, la compagne de l’autostoppeur, et de leur jeune fils Agustin. L’homme se serait-il rangé en entrepreneur à son compte, réalisant divers travaux de rénovation immobilière, et père de famille ? C’est sans compter sur ce besoin incessant, lancinant, de repartir au plus vite par les routes pour quelques jours d’abord, au hasard des trajets offerts par les automobilistes vers des destinations simplement marquées par l’envoi d’une carte postale et de clichés photographiques de ces inconnu(e)s qui auront accepté de le convoyer.

Peu à peu, la place de Sacha évoluera au sein de cette famille étrange, de plus en plus marquée par les absences toujours plus longues, toujours plus douloureuses d’un homme qui se cherche et qui n’est bien qu’en se lançant dans une errance sans fin, sans but, sans autre logique que de visiter tous les villages aux patronymes surprenants dont de fréquentes listes émaillent le texte.

Au fil de ces étapes, c’est la question de l’amitié, de l’amour, de l’absence qui est sans cesse posée. Celle de la place laissée par une absence inexplicable comme une offrande marquée à l’occuper sans autre explication, comme si cela allait de soi. C’est aussi la question du deuil de la confiance, d’une relation et la logique de reconstruction plus ou moins difficile, plus ou moins longue qui s’en suit. La grande force de Sylvain Prud’homme est de ne pas juger ses personnages. Il les laisse suivre leur chemin, prendre leur temps, peser et évacuer leurs doutes au fil d’une écriture épurée et sobre, pleine de charme et de tendresse. Les réponses apportées sont souvent surprenantes, inattendues comme ces vies qui sortent de l’ordinaire, comme ces automobilistes sur lesquels on n’aura pas parié un kopeck et qui vont vous faire la surprise d’un arrêt pour vous mener par les routes qu’ils auront choisies pour vous.

Un très beau roman récompensé par le Prix Femina 2019.

Publié aux Editions Gallimard – 2019 – 296 pages


3.12.19

Un monde sans rivage – Hélène Gaudy



A l’été 1897, trois Suédois et Norvégiens s’élançaient en ballon pour partir à la découverte et à la conquête du Pôle Nord. Ils avaient pour noms Andrée (le chef d’expédition), Strindberg (un descendant de l’homme de lettres) et Fraenkel (un aventurier). Mal préparés, mal équipés, incapables de maîtriser correctement leur Montgolfière, leur aventure se transforma bientôt en désastre avant de tourner au cauchemar.

Ce n’est que plus de trente ans plus tard qu’on retrouva, par le plus grand des hasards, leurs dépouilles, accompagnées de quelques restes de leur expédition. Parmi eux, des rouleaux de pellicule photographique miraculeusement conservés et dont des tirages purent être partiellement réalisés par un technicien un peu magicien. Et puis quelques fragments du journal de bord dont la plus grande partie fut définitivement perdue ou détruite par le climat glacial des contrées.

A partir de ces quelques fragments épars, d’articles de journaux, de certaines lettres ou souvenirs conservés par la fiancée d’Andrée, Hélène Gaudy réalise une remarquable travail de reconstitution et d’imagination. Un travail qui ne fait que reposer sur des hypothèses, plus ou moins fragiles. Mais là n’est pas la question tant la profondeur de l’analyse est grande, tant est puissant le questionnement sur ce qui a pu pousser ces hommes à se lancer habillés en dandies, traînant sur des kilomètres quantités d’effets personnels inutiles dont ils ne parvenaient pas à se résoudre à se débarrasser.

La force de ce vrai travail original littéraire tient dans la qualité d’une langue irréprochable au service d’une enquête historique, d’une réflexion sur la place des uns et des autres dans l’ordre social de l’époque et d’une mise en perspective d’autres gestes insensés survenant autour de cet évènement comme autant de volontés humaines à conquérir ce qui reste à conquérir, à relever des défis au nom d’un mélange d’idéologie, de patriotisme et de gloire personnelle.

Voici un livre extraordinaire, magnifiquement construit et écrit. Un travail d’orfèvrerie littéraire.