30.11.07

Petits suicides entre amis – Arto Paasilinna

On sait les Finlandais un peu déjantés, ardents, drôles et bons buveurs une fois la glace brisée (sans jeu de mots).

Dans ce célèbre roman, Arto Paasilinna illustre parfaitement cet esprit libre et faisant sauter bien des convenances.

Un entrepreneur en faillite et dont le mariage bat de l’aile et un colonel d’active mis sur la touche décident tous deux de se suicider, sans se connaître ni se concerter. Ils se retrouvent nez à nez dans une grange et l’entrepreneur va sauver la vie au colonel qui s’apprêtait à se pendre.

Comme il n’arrive pas tous les jours de pouvoir sauver la vie de quelqu’un et que partager ses malheurs en ayant une oreille attentive dans laquelle déverser ses tristes humeurs, une vive amitié va se nouer entre ces deux personnages.

Ayant chacun de son côté, grâce à leur réunion impromptue, échappé au pire, ils décident de passer une annonce pour proposer aux suicidaires finlandais de se réunir pour envisager un gigantesque suicide collectif.

Plus de 600 « désespérés » répondront présents. Lors du colloque qui ressemble rapidement à un festin orgiaque et fortement éthylique, un petit groupe d’une vingtaine de candidats au suicide collectif se constitue.

Bientôt rejoint par un propriétaire d’un car puissant flambant neuf, ils vont se mettre à sillonner tout d’abord la Finlande, puis la Norvège, puis le sud de l’Europe, à la recherche du lieu idéal pour commettre cette action d’éclat qui attirera l’attention du monde sur le mal de vivre finnois.

D’étape en étape, de beuverie en beuverie, des rencontres se noueront entre les « Mortels », de véritables amitiés, certaines amoureuses, se mettront en place et le désir de se tuer s’éteindra progressivement une fois qu’un nouveau sens sera redonné à la vie de chacun.

Derrière cette idée originale, l’auteur sait, avec un humour qu’on aurait aimé plus grinçant, donner de gentils coups de canifs dans la société finlandaise moderne, critiquant la recherche des biens et du pouvoir, l’abandon des traditions de rencontres et d’entraide, le replis sur soi.

Le ridicule d’une administration embourbée dans ses formulaires, ses procédures, son manque de moyen pour mettre à mal un plan qui ne manquera pas de porter atteinte à la réputation de ce grand pays qu’est la Finlande est également gentiment mis en scène.

Gentil est l’adjectif qui caractérisera le mieux ce roman qui a beaucoup fait parler de lui. En étant gentils les uns envers les autres, le goût de vivre revient car on trouve de nouveaux sens. Gentille est la critique, gentille l’écriture.

C’est ce manque de verve caustique, d’humour décalé à l’anglaise qui rend le récit un peu longuet. Plus les pages se tournent, plus la vie devient prévisible même si une, petite, surprise nous attend à la toute fin. Plus d’allant, plus d’ambition littéraire en aurait fait un ouvrage majeur. En fait, c’est simplement un gentil divertissement, un peu longuet. Dommage, car le sujet était vraiment fabuleux…

Publié aux Editions Denoël & d’ailleurs – 300 pages

22.11.07

Permission – Céline Curiol

Le thème retenu par l’auteur est réjouissant et original.

Un jeune homme est recruté sur concours international par l’Institution (une sorte d’ONU qui ne dit pas son nom).

Il y est engagé comme « résumain » c’est-à-dire que sa mission consiste à résumer avec objectivité, sans passion, de façon neutre et efficace, les débats qui ont lieu dans les différents organes de l’Institution.

Ce jeune homme ne tarde pas à devenir un employé modèle, soucieux de toujours mieux faire et qui ne pense qu’à son travail. De toute façon, l’Institution songe à tout pour ses employés. Ils sont logés et nourris sur place et ne peuvent sortir de l’Institution sans permission (d’où le titre). Même le vocabulaire est normé et trois classeurs résument tout ce qu’il faut savoir pour vivre sans heurts en vase clos.

Bientôt, face à la répétition des tâches et dans un mode aseptisé et climatisé, le temps s’efface. Aucun employé n’est capable de répondre à la question de savoir depuis combien de temps ils sont embauchés. C’est le moyen mis en œuvre pour tuer dans l’œuf toute révolte.

Tout fonctionne bien jusqu’au jour où le collègue avec lequel le personnage principal du roman est en compétition professionnelle lui montre un roman. Or, l’écriture et l’imaginaire ont été mondialement interdits pour éviter toute perversion et annihiler toute faculté d’initiative créatrice.

Céline Curiol maîtrise bien son sujet pendant les deux premiers tiers de ce roman original. Le ton volontairement froidement objectif, presque chirurgical qu’emploie son héros auto-narrateur fonctionne parfaitement bien.

Malheureusement, le derniers tiers perd en qualité. Le doute qui s’empare du héros, l’arrivée inattendue de la puissance imaginaire, les perspectives nouvelles que l’écriture apporte viennent bouleverser un monde parfaitement rôdé. Mais les moyens littéraires mis en œuvre par l’auteur sont un peu poussifs et manquent de maîtrise conductrice.

On finit par s’y perdre et l’on guette la fin. C’est celle-ci qui finit par gâcher l’ouvrage. Si j’avais eu à parier sur le dénouement, j’aurais imaginé celui précisément réalisé par Curiol. Assez cousu de fil blanc.

Un livre qui plaira aux amateurs de « Galatica » ou de « The Island », un cran en-dessous, très nettement, toutefois.

Publié aux Editions Actes Sud – 253 pages

17.11.07

Heureux comme Dieu en France – Marc Dugain

Marc Dugain, principalement connu pour son best-seller « La chambre des officiers », produit ici un roman remarquablement écrit, avec juste ce qu’il faut d’effets littéraires (il a le sens de la formule qui fait mouche mais sans l’ostentation cumulative d’un Pierre Assouline).

Pourtant, le thème retenu est archi-rabâché : un jeune homme de vingt ans, dont les parents animent des réseaux de résistance via le Parti depuis Paris, est déclaré officiellement mort. Une fois enterré, pour de faux bien entendu, il est envoyé en Province où il va progressivement monter les échelons dans son réseau, commettant directement ou indirectement, les meurtres et les coups d’éclat indispensables au succès de ses missions.

La langue maniée par Dugain est pour beaucoup dans le fait que l’on est immédiatement happée par la logique infernale qui se met en place. L’atmosphère d’angoisse latente, l’implication de ses sans-grades qui se sont engagés au péril de leur vie est admirablement rendue.

On y comprend aussi les principes du cloisonnement au sein d’un réseau, le fait que chacun était responsable d’une minuscule parcelle d’action, la somme du tout faisant l’effet escompté. Il était également plus facile de remplacer un maillon arrêté ou mort que toute la chaîne.

L’autre originalité de ce très beau roman, de facture classique (il n’y faut pas chercher d’innovation littéraire), est de prolonger l’action dans le France de l’après-guerre. Plus qu’un roman d’action, ce qu’il n’est pas vraiment, c’est un roman profondément intimiste qui met en scène les doutes, les interrogations, les bravades et les actions de bravoure qu’un jeune homme va apprendre instinctivement à trouver en lui, face à des situations terribles. Jusqu’où peut aller l’amitié, la compréhension de l’ennemi, jusqu’où trahir ceux qui nous font apparemment confiance pour faire gagner la cause pour laquelle on est enrôlé.

Ces mêmes doutes, transcrits une fois de retour dans la vie civile, doublés d’une quête d’un amour impossible, avec la femme qui fut son chef de réseau et qui disparut brutalement, arrêtée, quelques jours avant qu’il ne le fût lui-même sont magnifiquement mis en scène par l’auteur dans le dernier tiers de cet ouvrage.

L’une des questions qui est posée est celle du sens de l’engagement et des limites à ce que l’on est autorisé ou non de faire. La réponse donnée ici est que face au terrorisme militaire il n’y avait pas d’autre réponse que celui du terrorisme résistant. Une façon sans doute de nous donner à voir ce qui se passe aussi en Irak ou en Afghanistan…

Publié chez Gallimard – 204 pages

10.11.07

Le paradis des poules – Dan Lungu

Parfois, un titre sait vous accrocher et est en soi une promesse alléchante. C’est le cas de ce truculent roman roumain de Dan Lungu.

Il y a un côté « Trois hommes dans un bateau » dans l’annonce de chacun des chapitres où l’auteur résume ce qui va se dérouler de façon assez iconoclaste et décalée. Il y a aussi et beaucoup de « Chat noir, chat blanc » de son compatriote Emir Kusturica. C’est dire le compliment !

En effet, on y retrouve une galerie de personnages improbables et hauts en couleur, au verbe d’autant plus efficace qu’ils sont imbibés par l’eau de vie du patron que les mâles de la rue des Acacias, où se déroule l’action, consomment sitôt la pension arrivée.

Ce bistrot plus ou moins improvisé, que l’un des habitués a surnommé avec imagination le « Tracteur chiffonné », est l’endroit où l’on devise, entre gentils poivrots, de la difficulté d’avoir vécu l’époque communiste de Ceaucescu puis celle de vivre après la révolution, une fois « le criblé de balles » liquidé et l’économie artificielle dézinguée. On y refait le monde, sans illusion et sans volonté de s’impliquer.

Cette rue est un condensé d’humanité, celle des petites gens, des retraités et des chômeurs. On y survit comme on peut, chacun élevant ses poules pour agrémenter l’ordinaire de quelques oeufs. On s’y surveille, sans penser à mal et on s’y serre les coudes lorsque le communisme bureaucratique décide de tout raser. Mais, régime oblige, les travaux s’arrêteront avant que d’avoir tout détruit…

Dan Lungu manie avec brio et force une langue de comptoirs où l’humour roumain, fait d’autodérision, d’images et de périphrases qui en disent plus longs que des discours, s’en donne à cœur-joie. Le chapitre sept est un summum du délire alcoolique mais tout à la fois une prémonition de ce que l’incurie d’une entreprise publique va engendrer comme dérèglement sur les vers de terre d’une parcelle d’un des habitués du bistrot. C’est dire…

Les femmes y sont cantonnées aux rôles domestiques et se refilent les tuyaux pour déceler chez leurs hommes les signes d’une alcoolémie certaine, annonciatrice souvent de coups et d’insultes.

Bref, on y retrouve ce foutoir délirant, cette verve, ce machisme ridicule qui font la force des films de Kusturica et celle de ce superbe roman. On y rit souvent à haute voix malgré la tragédie, bien réelle, que vivent ces pauvres bougres, victimes du communisme et laissés pour compte de l’ère post-révolution.

Un livre réjouissant, drôle, inventif, décalé et pour voir, par le petit bout de la lorgnette, une partie de la Roumanie contemporaine.

Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 223 pages

7.11.07

Hôtel Iris – Yôko Ogawa

Yôko Ogawa, née en 1962, fait partie de cette génération d’écrivains japonais qui sont en train de bousculer la littérature nippone.

C’est du rapport de la victime à son bourreau, de la perversité à l’état pur qu’il est question dans cet étonnant roman. Comme souvent dans la littérature japonaise, la violence physique et psychologique sont décrites dans toute leur crudité. On en trouvera de nombreux exemples dans les divers romans dont les notes de lecture sont disponibles dans Cetalir. C’est une constante visiblement de la culture japonaise.

Un soir, l’hôtel Iris, modeste établissement balnéaire japonais voit son calme troublé par des injures proférées par une prostituée. Un vieil homme semble avoir tenté de lui porter les plus extrêmes outrages. Il ne dit rien pour sa défense et ne prononce qu’une seule phrase sur un ton qui émeut au plus profond d’elle-même Mani, la jeune fille de dix-sept ans de la femme qui tient l’hôtel.

Par hasard, Mani va rencontrer quelque temps plus tard le vieil homme. Elle découvrira qu’il est traducteur russe et qu’il vit à l’écart sur une île quasi déserte. Séduite par une voix à laquelle elle ne sait résister, elle va accepter une correspondance de plus en plus appuyée, puis rendre visite au vieil homme.

Ce dernier a trouvé en Mani sa proie, son objet sexuel, le réceptacle de ses fantasmes et d’une violence qu’il a du mal à maîtriser. Il n’aura plus qu’à cueillir un fruit mûr, qu’à se repaître des jus défendus, certain de l’autorité qu’il exerce sur ce qui va devenir un objet adoré et maltraité.

Presque rien des pratiques brutales et dégradantes du vieil excentrique ne nous sera épargné, sans pour autant que le roman ne tombe jamais dans un côté vulgaire, voire vomitif.

Bien au contraire, Yôko Ogawa, use d’une langue dépouillée et sait nous captiver face à ce spectacle étonnant et répétitif qui met en jeu un dominant pervers et une victime consentante qui n’a pas même conscience du caractère insultant et dégradant des pratiques qu’elle subit. On assiste hébété à chacune des scènes et dévore d’une seule traite un roman qui vous happe, comme le vieil homme a su happer un corps jeune, malléable, docile et naïf.

C’est cette forme d’ensorcellement qui est fascinante et extraordinairement rendue par l’auteur. Pourquoi courir vers un abîme à chaque fois plus profond ? Quelle est la limite entre la souffrance et la jouissance et en quoi la violence et la dégradation sont-ils d’indispensables carburants à des amours coupables ?

Il y a un spectacle de l’araignée et de la mouche dans ce duo sordide et la mouche, étourdie de fulgurances, saoule et consentante contribue à rendre les liens et le piège de la toile toujours plus serrés.
Bien sûr, tout se terminera assez mal, la mort du bourreau ou de sa victime ne pouvant être que l’étape ultime d’une relation perverse qui ne connaît aucune limite.

A lire absolument bien qu’à ne pas laisser en d’innocentes mains.

Publié aux Editions Actes Sud – 238 pages