28.3.12

La tombe des lucioles – Akiyuki NOSAKA



La vie de Nosaka ressemble à un roman. Né en 1930 d’un père inconnu, sa mère naturelle meurt en couches. Confié à une famille d’accueil, il perd sa mère adoptive lors d’un bombardement américain sur la ville de Kobé en 1945. Peu de temps après, sa sœur adoptive meurt dans ses bras de malnutrition et de manque de soins. Dès lors, il va devenir l’un de ces multiples enfants des rues du Japon de la fin de la guerre, lorsque le pays est à genoux puis sous le joug de l’occupant américain. Vivant de rapines et de marché noir, il sera arrêté et mis en maison de correction jusqu’à ce que son père naturel, miraculeusement, qui est vice-gouverneur d’une province le fasse libérer. A nouveau, il lui faudra vivre d’expédients occupant successivement des métiers aussi improbables que laveur de vitres, laveur de chiens, fabriquant de machines à sous truquées ou bien encore mannequin. Quelque temps plus tard, il se mettra à l’écriture et publiera un roman choc, une véritable bombe dans le Japon des années d’après-guerre, « Le pornographe ». Se qualifiant comme le témoin d’un pays en pleine déliquescence, il campe dans son livre la face obscure de l’Empire du Soleil Levant et y décrit de façon provocante les fantasmes sexuels qui peuvent habiter les populations stressées et auxquelles il est interdit de s’exprimer à titre individuel. Il s’engagera quelque temps dans la politique, devenant même sénateur pendant quelques mois avant que de démissionner pour tenter de faire tomber le premier ministre véreux de l’époque. Car Nosaka est un provocateur né. Une provocation qu’il mettra au service d’une gigantesque œuvre littéraire ayant publié plus de cent opus dont très peu sont traduits et disponibles en France.

Le livre dont il est question ici regroupe deux nouvelles intitulées respectivement « La tombe des lucioles » et « Les algues d’Amérique ». Il s’agit très clairement de deux récits à caractère autobiographique. La plus connue, la première, relate ni plus ni moins sa propre vie d’adolescent. Elle commence avec la narration poignante de la mort du personnage principale, devenu SDF dans une gare. Sous-homme, repoussé de tous, pouilleux parmi les pouilleux, il expirera dans l’indifférence générale et son corps sera rapidement enlevé pour finir dans une crémation aussi anonyme que la pauvre vie qu’il abrita. Commencera alors le récit de cette descente aux enfers dont l’origine se trouve dans le bombardement de Kobé, tuant sa mère, déjà orphelin putatif d’un père parti sur un navire de guerre dont on reste sans nouvelle depuis des années. Tenant sa jeune sœur sur son dos, il sera envoyé chez une tante qui n’a d’autre objectif que de dépouiller les enfants de leurs maigres biens pour nourrir sa propre famille et leur laisser de vagues restes. Une misère qui les envoie dans une sorte de grotte précaire, les obligeant à vivre de rare charité et d’un peu de rapines jusqu’à ce que la jeune sœur décède dans les bras de son frère de malnutrition tout juste éclairée par les lucioles qui leur servent de maigre lampe naturelle.

Avec « Les algues d’Amérique », c’est du Japon du début des années soixante dont il est question. Un pays qui commence à reprendre du poil de la bête, qui s’est défait de l’envahissante présence américaine et où, précisément, un couple d’Américains vient passer quelques jours de vacances. Comme, lors d’un voyage à Hawai, l’épouse japonaise avait été accueillie par le couple, elle leur rend la monnaie de la pièce en les accueillant à son tour chez elle un peu contre le plein gré de son mari et avec l’indifférence de leur enfant. Rapidement, cet hébergement va virer au cauchemar. Un cauchemar qui trouve son origine dans le rappel d’un passé profondément enfoui des deux hommes qui vont faire connaissance lors de virées glauques dans le Tokyo de l’underground. Tous deux connurent l’occupation, l’un comme quelqu’un devenu expert en marché noir et entremetteur auprès des soldats américains, l’autre comme espion chargé de repérer les mauvais-pensants, parlant parfaitement japonais, et vivant à la solde du pays. Un cauchemar induit par un comportement sans-gêne et grossier du couple américain qui n’a que faire de leurs hôtes dont ils cherchent simplement, une fois de plus, l’histoire bégayant, à tirer profit. Un cauchemar parce qu’il déclenche chez les Japonais des comportements déviants où les réminiscences du pornographe se font nombreuses.

Ces deux nouvelles noires et admirables valurent à Nosaka la plus haute distinction littéraire nationale, le Prix Naoki, en 1968.

Publié aux Editions Picquier Poche – 2004 – 140 pages