2.6.12

Le roi de Kahel – Tierno Monénembo




Il a fallu le talent d’un écrivain guinéen d’expression française et la récompense d’un Prix Renaudot à la rentrée 2008 pour tirer de l’oubli un de ces personnages fantasques, mi aventurier, mi scientifique que seul le XIXe siècle sut engendrer.

Aimé Victor Olivier est un grand bourgeois lyonnais. Industriel et chimiste, diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, il fut entre autres l’inventeur de la roue à moyeux suspendu ce qui l’amena tout naturellement à inonder le marché de ce que l’on appelait vélocipèdes dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Personnage fantasque, passionné de géographie et de politique (il fut le plus jeune maire de France à une époque où le poids des ans avait valeur de sagesse), féru de philosophie et d’Absolu (il passa sa vie à rédiger un obscur traité de philosophie consacré à ce thème), il tomba en amour de l’Afrique.
Continent encore sauvage en cette fin de XIXe, terre d’enjeux géopolitiques entre l’Angleterre, la France et le Portugal qui se déchirent des zones d’influence et de futures colonies, l’Afrique reste largement à défricher, à organiser et à civiliser.

Anobli par le Roi du Portugal pour les services rendus dans la description des terres africaines et devenu Vicomte Olivier de Sanderval, notre homme décide de se lancer dans un projet mégalomaniaque mais aussi crédulement humaniste : celui de construire une ligne de chemin de fer de 9000 km de long qui traversera l’Afrique pour déboucher à Conakry et de devenir roi du Fouta-Djalon, province peul centrale et déterminante pour contrôler le Soudan anglais de l’époque.

En dépit des railleries et d’une opposition de la toute –puissante Navale, Olivier de Sanderval parviendra, grâce à son intelligence politique, sa foi incontournable en son projet, sa fortune personnelle, son abnégation à se faire nommer roi de Kahel, peul parmi les peuls, à frapper monnaie, à fonder Conakry le tout au nez  et à la barbe des Anglais et des Français qui le lui feront payer très cher, le moment venu.
C’est cette épopée romanesque et romancée que nous conte avec un talent de griot africain, de façon aussi lyrique que documentée Tierno Monénembo. Traverser la jungle Africaine, survivre aux coliques, à la fièvre jaune, au paludisme et autres microbes qui décimaient la population blanche, sauver sa tête, au sens propre du terme, face aux populations musulmanes et profondément divisées du territoire peul que nul blanc n’avait jusqu’ici réussi à infléchir nécessitait une santé de fer et un idéal absolu. Il fallut manœuvrer, guerroyer, soudoyer, résister aux pressions incessantes des deux rivales qu’étaient l’Angleterre et la France qui comprirent tardivement l’intérêt supérieur que représentait le Fouta-Djalon, pour qu’Olivier de Sanderval parvînt à ses fins.

Cette extraordinaire épopée, tombée depuis dans le plus profond oubli, valut gloire personnelle à notre homme, folie des salons et des conférences en Europe et en fit une  star des gazettes avant que de sombrer corps et biens sous les coups de butoir de la politique réaliste et des intérêts coloniaux de la République.

C’est aussi un projet idéaliste de progrès, de civilisation supérieure blanche apportée à ce qui était unanimement considéré comme la race nègre inférieure qui nous est décrit brillamment ici. Un livre pour mieux comprendre ce qui fit de l’Afrique ce qu’elle est encore aujourd’hui, un continent exploité et oublié du monde, un continent largement à la solde des grandes nations.

Publié aux Editons Seuil – 262 pages