17.7.12

Un château en forêt - Norman Mailer



Norman Mailer n’eut pas le temps de mener au bout sa trilogie sur Hitler dont « Un château en forêt » (le titre fait explicitement référence au surnom donné au camp « Das Waldschloss » surnommé ainsi par dérision par ses détenus) était le premier tome. Il mourut quelques mois plus tard des suites d’une opération des poumons.

Norman Mailer est un des monstres de la littérature américaine du vingtième siècle,  un de ces auteurs qui ont délibérément cassé les codes, joué de la provocation en donnant la parole à des personnages mythiques (Jésus, Marylin Monroe) ou en donnant une vision pour le moins différente des icônes (Pablo Picasso par exemple). Voir à ce sujet le très bon article suivant de Rue89 : http://blogs.rue89.com/cabinet-de-lecture/avec-norman-mailer-une-grande-voix-de-la-contre-culture-seteint

Dans son ultime roman publié de son vivant, Mailer décida de prendre un parti pris presque mystique pour tenter de donner un sens à l’innommable. C’est parce que la famille dans laquelle naquit le jeune Adolf Hitler présentait a priori toutes les qualités à l’éclosion du Mal que le Maestro, Satan, décida très tôt de s’y intéresser. Pour cela, il délégua un de se meilleurs agents chargé d’assister à la procréation du fœtus puis de susciter dans le jeune Adi, chaque fois que de nécessaire, le mélange explosif de pulsions morbides, de terreur, de frustrations, de jouissance malsaine pour sublimer le potentiel démoniaque qu’il détenait a priori et déclencher la pire horreur que l’humanité eût jamais connu jusque là.

Pour cela, Mailer s’appuie à la fois sur une impressionnante bibliographie et une théorie jamais démontrée mais souvent suspectée qui veut que Hitler fût le produit d’un double inceste. Inceste parental entre un oncle (Alois) et une nièce (Klara) qui était peut-être même sa propre fille. Inceste entre les parents d’Alois dont la naissance est entachée de doutes. Le signe régressif distinctif en étant qu’Hitler n’avait qu’un testicule, signe fréquent chez les enfants issus d’un tel inceste. Pourquoi pas.

Mailer met tout son talent à nous faire entrer dans l’intimité de la famille Hitler. Adi était le deuxième enfant survivant d’une fratrie de huit engendrée par deux des trois épouses successives d’Alois. Un père qui s’était issé à la force du poignet et sans éducation aux plus hautes responsabilités dans les Douanes austro-hongroises. Un homme à femmes, colérique et alcoolique, cyclothymique et capable d’infliger les pires corrections à ses chiens comme à ses enfants, faisant vivre son foyer dans une terreur constante jusqu’à sa retraite.

Une mère noyée dans le chagrin, à la fois amoureuse de son oncle de mari et toujours réfugiée dans la bigoterie, unique consolation d’une vie faite principalement de deuils, de pertes et de douleur.

Un demi-frère aîné tiraillé lui-même entre l’inceste, l’homosexualité et la zoophilie avant que d’être exclu à tout jamais de la famille et de tourner en mauvais garçon.

Sans cesse titillé et guidé par son démon gardien, Adi fit l’apprentissage très tôt du gazage des abeilles de son père, des combats militaires de plus en plus sophistiqués avec des camarades d’école qu’il menait à la baguette, de la jouissance à souffrir ou à faire souffrir, de la puissance du mensonge.

Il ne faut pas prendre à la lettre le propos de Mailer mais y voir là un brillant exercice littéraire qui, en dépit de ses longueurs et diversions comme ce très long et guère utile intermède sur l’avènement du tsar Nicolas II, apporte un point de vue alternatif à l’explication de ce que l’entendement aura souvent du mal à concevoir. Quoi que l’on puisse en penser in fine, il faut lire ce roman pour son caractère particulier et comme ultime témoignage d’un géant littéraire.

Publié aux Editions Plon – 2007 – 447 pages