24.11.12

De beaux lendemains – Russel Banks



Publiée en 1991, « De beaux lendemains » est une œuvre majeure de R. Banks, écrivain américain qui compte parmi les auteurs que nous aimons particulièrement sur Cetalir.

Le titre est volontairement trompeur. En effet, comme toujours dans l’œuvre de Banks, nous sommes dans les profondeurs de l’âme humaine, dans la noirceur qui vous précipite vers les abîmes de jalousie, de rancœur, de vengeance plus ou moins explicites. R. Banks excelle dans ce style et dans sa capacité à se mettre véritablement dans la peau des personnages auxquels il confère une profondeur, une finesse tout à fait extraordinaires. Les beaux lendemains sont ceux un moment rêvés mais que la réalité cruelle ou les jeux personnels auront tôt fait de les mettre à mal. Chez Banks, la vie n’est jamais un long fleuve tranquille. C’est tout au contraire un redoutable parcours semé de multiples embuches, de chagrin, de douleurs, d’accidents qui vous poussent systématiquement du mauvais côté de la barrière.

Dans ce roman, c’est la vie bouleversée par un fatal accident qui est considérée. L’intérêt et la puissance du livre tiennent au fait qu’un même événement est considéré par quatre protagonistes différents et aux intérêts antagonistes. C’est ce qui peut être fait d’une réalité objective lorsqu’elle devient un enjeu de pouvoir, d’argent, de règlement de comptes qui est au centre de cet ouvrage remarquable.

Jusque là, la petite ville de Sam Dent perdue dans l’Etat de New York, isolée du monde aux portes du parc national des Adirondacks, habituée à survivre à des hivers redoutablement rigoureux (un thème récurrent chez l’auteur), menait une vie tranquille. Certes, la population locale ne roule pas sur l’or et tire plutôt le diable par la queue. Mais l’esprit communautaire y a maintenu l’indispensable cohésion sociale, l’entraide étant un art de vivre.

Un accident de car scolaire conduit par la respectée Dolores Driscol, épouse loyale d’un homme cloué sur une chaise roulante après un accident cardio-vasculaire, va tout remettre en cause. La plupart des enfants présents dans le car vont mourir et la question de la recherche de responsabilité et des dédommagements financiers va devenir centrale, entretenue par une horde d’avocats qui joue les familles les unes contre les autres et s’en prennent aux services publics. Le récit de ce qui s’est passé, la recherche des causes est abordée au travers de quatre personnages centraux, directement ou indirectement concernés par l’affaire.

Dolores est une femme remarquable, dévouée, aimante et respectée de tous. Elle sera l’une des rares rescapées de cet accident fatal. Sa vie s’en trouvera à jamais brisée, ses points de repère balayés, sa relation à la communauté remise en cause. Quelle est donc sa véritable responsabilité dans cette terrible affaire ?

Billy Ansel est l’homme le plus respecté de la ville. Ancien officier au Vietnam, veuf de la plus jolie femme de la ville, il élève seul ses deux enfants tout en se consacrant à son garage dans lequel il emploie essentiellement des garçons paumés par l’expérience traumatisante de la guerre contre les Viets. Il suivait le car au moment de l’accident et accompagnait comme d’habitude ses enfants qui ont tous deux péri. Pour qui prendra-t-il parti ? Comment surmonter une telle épreuve et continuer à mener une vie  normale ?

Mitchell Stephens est un as du barreau. Un gars en colère, décidé à faire payer les responsables. C’est lui qui va convaincre quelques familles endeuillées à mener une action en justice. Pour cela, il a besoin du témoignage capital de Nicole et devra surmonter les tensions qui agitent la ville.

Nicole Burnell est une belle adolescente de quatorze ans, l’idole féminine de la ville, le fantasme des garçons. Elle sortira paralysée de ce terrible accident dont elle est, à part Dolores, la seule rescapée. Qu’a-t-elle vraiment vu ? En quoi cet accident est-il le moyen pour elle de faire face à un autre terrible secret que nous découvrirons ?

En segmentant le livre autour de ces quatre points de vue qui constituent autant de chapitres isolés, Banks donne un rythme, une densité dramatique exceptionnelle à son livre. On y perçoit les manipulations à distance et les enjeux implicites de familles qui, chacune à sa façon, tentent de donner un sens à ce qui ne peut en avoir.

Il en résulte l’un des plus beaux livres de cet auteur majeur contemporain.

Publié aux Editions Actes Sud – 253 pages