30.8.13

Némésis – Philip Roth



Némésis sera-t-il le dernier roman jamais publié par Philip Roth ? Sans doute à en croire les déclarations mêmes de l’auteur aux Inrockuptibles (voir http://www.lesinrocks.com/2012/10/07/livres/philip-roth-nemesis-sera-mon-dernier-livre-11310126/) et confirmées ensuite par son éditeur. Arrivé à l’âge de soixante-dix-huit ans, Philip Roth ne se sent plus l’énergie de composer avec la frustration de devoir se battre avec les brouillons, les multiples tentatives jusqu’à trouver la bonne formulation, la bonne linéarité ou la bonne idée. Il préfère désormais se consacrer à la préparation de se mémoires afin que son biographe (car il ne doute pas un seul instant qu’une fois mort on voudra à tout prix écrire sa biographie) dispose d’un matériau le plus juste et complet possible.
Némésis est ainsi le quatrième et dernier volume du cycle « Nemeses » (qui signifie fatalité en américain) après « Un Homme », « Indignation » et « Le Rabaissement ». Un cycle où il est question du comportement face à la mort et aux multiples menaces qui remettent régulièrement nos existence en cause.

Ici, c’est en repensant aux épidémies de polio qui, chaque été, frappaient dans son enfance, jusqu’à l’invention du vaccin en 1955, que Roth construit un roman superbe et d’une architecture totalement maîtrisée.
L’Amérique de 1943 dans la ville de Newark se trouve confrontée à un double défi. D’un côté, sortir du piège de la guerre du Pacifique puis de l’engagement armé en Europe alors que chaque semaine, des familles de la communauté juive de la ville doivent composer avec l’information tant redoutée : celle d’un fils, d’un frère, d’un mari ou d’un amant tombé au front. De l’autre, une épidémie de polio qui frappe de plus en plus brutalement les enfants de tout milieu et de toute religion.

Bucky Cantor a décidé de faire front à sa façon. En tant que jeune Directeur des terrains de jeu de la ville, il conserve son calme et continue d’organiser les activités sportives des enfants dont il a la charge tout en renforçant les mesures sanitaires de sécurité. Pourtant, les gamins commenceront à tomber comme des mouches.
Sur l’insistance de sa fiancée, institutrice et monitrice d’un camp de jeunesse situé à l’abri des miasmes en altitude, Bucky finira par accepter de venir la rejoindre pour remplacer un professeur de sport appelé sous les drapeaux. Il deviendra alors malgré lui le vecteur du malheur pour les jeunes dont il est responsable et pour lui-même.

La question centrale abordée par Philip Roth est celle de la culpabilité. Dans la première partie du roman, deux sentiments coupables existent. Celui des familles qui cherchent une explication même totalement irrationnelle aux raisons qui font de leurs enfants bien-portants les victimes innocentes d’une terrible maladie. Il faut des boucs-émissaires et seul le sang-froid de Bucky permettra de contenir les foules. Mais aussi la culpabilité de Bucky de n’être pas parti se battre à cause d’une vue mauvaise qui l’a fait réformer, alors que tous ses amis sont au front. Du coup, il lui faut adopter inconsciemment une attitude héroïque jusqu’au point où la pression psychologique et amoureuse de celle qu’il doit épouser le fasse, la mort dans l’âme, quitter son poste en pleine épidémie.
Mais, fondamentalement, une fois le drame posé, la psychologie des personnages bien connue, Roth nous interpelle sur la question de savoir jusqu’où notre responsabilité est engagée lorsque nous devenons malgré nous l’agent du malheur et comment nous pouvons choisir de vivre vis-à-vis de cette fatalité.

Dans le cas de Bucky, la déesse de la vengeance et de la colère, émissaire de la Justice, Némésis, aura dicté un verdict absolu et aussi fermement irrévocable que l’état d’esprit intégral et inflexible du personnage qu’elle frappe.
Roth signe avec cet ultime roman un livre absolument magnifique.

Publié aux Editions Gallimard – 2012 – 227 pages