18.1.15

D. – Robert Harris


Il aura fallu attendre l’année 2013 pour que le dossier complet, demeuré secret, de l’affaire Dreyfus soit consultable en ligne sur le site AffaireDreyfus.com. C’est après avoir discuté avec Roman Polanski (avec qui il coopéra pour écrire le scenario de Ghost Writer) que le romancier et historien britannique Robert Harris décidé de se lancer dans une formidable aventure : tenter de tirer une bonne fois pour toutes au clair les dessous d’une affaire qui empoisonna la France pendant quasiment un demi-siècle.

Le coup de génie ici est,  non pas de tenter de conter de l’extérieur les faits et rebondissements qui conduisirent de la cassation en 1901 d’un officier juif de Mulhouse à sa réhabilitation avec les excuses de la République en 1906, mais de se mettre dans la peau d’un des acteurs principaux, malgré lui, de toute l’histoire. Un acteur resté dans l’ombre et injustement oublié…

Georges Picquart est celui qui prend la parole. Brillant officier ayant fait ses preuves par les armes en Afrique et au Tonkin, décoré de la Légion d’Honneur, ancien professeur de topologie à l’Ecole Militaire (où il eut Dreyfus comme élève), il se voit choisi pour être promu plus jeune Lieutenant-Colonel de l’Armée française en charge du « Bureau des Statistiques », vague terme derrière se cache le service du contre-espionnage.

Dépité de cette promotion mais dans l’incapacité de refuser, Picquart va devoir prendre la tête d’une équipe qui fera tout pour lui rendre la vie impossible. Mais imposant peu à peu ses méthodes, réformant de fond en comble l’approche et parce qu’on lui a donné l’ordre de maintenir l’enquête sur le dossier Dreyfus, lequel vient d’être condamné et envoyé  à l’Ile du Diable dans des conditions de détention innommables, Picquart, persuadé de la culpabilité de Dreyfus comme toute l’armée dans son ensemble, va peu à peu voir ses convictions ébranlées.

Un faisceau d’indices le mettra sur la piste d’un officier louche et au bras long, le Commandant Ferdinand Walsin Esterhazy. Un homme perclus de dettes de jeu, aux mœurs des plus douteuses, bientôt observé à fréquenter assidûment l’ambassade d’Allemagne, le grand ennemi, à qui il ne fait plus de doute qu’il remet des documents militaires. Un homme dont l’écriture ressemble furieusement à celle du bordereau sur la seule base, fragile, duquel Dreyfus fut condamné.

Alertant sa hiérarchie et le gouvernement, Picquart va se heurter à un nauséabond mélange de mauvaise foi, d’antisémitisme, de compromissions, d’objectifs personnels inavouables qui rendent son discours inacceptable et inaudible.

Picquart ne tardera pas à pâtir de son entêtement, de sa droiture de soldat et d’officier qui ne peut pas accepter que l’armée qu’il aime de tout son cœur commette un outrage en condamnant un homme dont il ne fait aucun doute, pour lui, qu’il est innocent.

Chassé de son poste, ostracisé puis emprisonné, il deviendra l’un des fers de lance du groupe des Dreyfusard auprès de Zola, de Jaurès, de Clémenceau, de Scheurer-Kestner ou de Lazare tout en respectant son devoir de secret et de soldat, malgré les outrages subis.

C’est cette enquête de l’ombre mené par un homme mû par le souci de la vérité et de la droiture que nous suivons de façon palpitante, comme un thriller aux incessants rebondissements et qui nous tient en haleine constante bien que nous en connaissions la fin.

Ce livre compile des faits historiques et laisse au romancier le soin de les mettre en scène, de les lier entre eux à la façon d’une histoire incroyable et pourtant vraie. Picquart fut, en son genre et à son époque, le premier lanceur d’alerte. Attention, on entre dans ce bouquin pour ne plus en sortir et parcourir page après page devient addictif ! Une formidable réussite.

Publié aux Editions Plon – 2014 – 487 pages