9.1.15

Le reste est silence – Carla Guelfenbein


Voici une excellente opportunité de découvrir la littérature chilienne contemporaine. Avec subtilité, imagination et précision, Carla Guelfenbein se met tour à tour dans la peau de trois personnages aux vies et destinées étroitement entremêlées. Nous adhérons immédiatement aux pensées qui tourmentent ce trio et comprenons d’autant mieux le drame qui peu à peu va se nouer que nous le vivons de l’intérieur même, avec tout ce que l’observation subjective d’un acteur peut induire comme erreur d’interprétation.

Tommy est un garçon de douze ans d’une extrême sensibilité et d’une intelligence émotionnelle hors du commun. C’est aussi un enfant fragile, opéré du cœur à trois ans, une sorte de miraculé de la vie et qui garde les séquelles de cette épreuve en arborant la constitution d’un enfant de huit ans.

Tommy vit essentiellement dans un monde qu’il s’est inventé. N’ayant pas d’ami, étant la risée des camarades de classe à cause de son physique, il s’est créé un ami fictif, un confident avec lequel il dialogue en permanence. Tommy cherche à comprendre et observer l’étrange monde des adultes, ses codes, ses mensonges, ses secrets jalousement gardés en enregistrant presque systématiquement les conversations familiales sur son MP3. En assemblant ensuite des morceaux de phrases sur son ordinateur, il en vient progressivement à comprendre le mystère qui entoure la mort de sa mère, Solenda, huit ans plus tôt.

Tommy vit avec son père Juan et sa belle-mère, Alma.

Juan est chirurgien cardiaque. C’est lui qui s’est occupé de Tommy. C’est un homme secret, quasi incapable d’exprimer ses sentiments et précisément quand il s’agit de le faire auprès de son fils qu’il surprotège. Juan a été brisé par la mort de son épouse dont nous allons, grâce à l’enquête minutieuse de Tommy, découvrir les raisons et les circonstances qui sont radicalement différentes de la version officielle en circulation.

Juan s’est remarié à Alma dont il élève aussi la fille. A cause de ses absences, de ses silences, des tourments qui l’agitent sans cesse, Juan sent qu’il se détache d’Alma et le couple va s’enfoncer dans une grave crise.

Alma est celle qui apporte un peu de joie dans cette famille introvertie. Elle fait le lien entre les enfants et les parents de différents lits. Elle sent que Juan s’éloigne, que l’amour conjugal est en train de disparaître et elle va finir par succomber à celui qui fut son premier amant mais aussi celui de sa mère ce qui valut une rupture tonitruante avec celle-ci.

C’est au cours d’une conversation anodine que Tommy va découvrir le secret de la mort de sa mère. De quelques paroles qu’il n’aurait pas du entendre, il va partir en quête de la vérité sur sa famille tout en se rendant compte que Juan qu’il vénère et Alma qu’il aime sincèrement comme elle-même l’aime, font face à une situation qui les éloigne inéluctablement l’un de l’autre.

Carle Guelfenbein fait alterner les courts chapitres où chacun de ces trois acteurs se livre tour à tour. Nous voyons ainsi une même séquence avec plusieurs yeux, découvrons les parties secrètes que chacun conserve précieusement par devers soi, comprenons les manœuvres ou les jeux qui se déroulent visant à maintenir l’intégrité d’une cellule essentielle au bonheur de Tommy alors que les adultes travaillent plus ou moins consciemment à ce qui semble son inéluctable explosion.
Malheureusement, parce que Juan et Alma sont profondément englués dans leur crise de couple, ils seront incapables de voir la souffrance de Tommy malgré plusieurs signaux d’alerte passés pour anodins.

On ressort ému de cette lecture d’une grande sensibilité et d’une belle intelligence.


Publié aux Editions Actes Sud – 2010 – 312 pages