9.3.17

Hiver à Sokcho – Elisa Shua Dusapin


Voici un premier roman d’une jeune franco-coréenne de vingt-trois ans absolument enthousiasmant et riche de belles promesses littéraires à venir. Un roman d’ailleurs récompensé du Prix Robert Walser en Suisse où a étudié et réside la jeune femme. Les termes qui me paraissent les plus appropriés pour caractériser cette réalisation sont ceux de mise en suspension et d’incommunicabilité.

Mise en suspension car le choix de Sokcho est tout sauf innocent. Alors que les longues plages de cette ville côtière regorgent de touristes l’été, la ville se referme sur elle-même le reste de l’année. En plein hiver, elle se transforme en une sorte de cité engourdie, illuminée de guirlandes censées créer une atmosphère de fête toute artificielle. Car Sokcho est aussi la ville ultime, la dernière cité avant cette large bande de terre qui sert de no man’s land entre les deux Corée ; d’où une certaine pesanteur immanente, un climat de vague suspicion parfaitement rendus par la jeune romancière.

Débarque dans cette ville un jeune Français. Un homme mystérieux qui ne parle pas un mot de la langue. Il est venu s’installer dans une petite pension de famille qui tente bon gré mal gré de survivre. Une pension où travaille une jeune femme d’emblée fascinée par cet étranger venu d’un pays qui lui est cher. En effet, elle est elle-même à moitié française par son père, qu’elle n’a jamais connu celui-ci ayant abandonnée la mère et l’enfant à naître dès que ses obligations professionnelles ne le retenaient plus sur place.

Le visiteur est venu chercher on ne sait trop quelle inspiration pour créer sa prochaine BD. Peu à peu, on comprend qu’il mène une quête obsédante et muette d’un idéal féminin qui n’est autre qu’une projection mentale de sa propre recherche infructueuse et tue. Une démarche à laquelle se trouve associée la jeune femme dans un jeu qui tient à la fois de la séduction et de l’incapacité à se parler, de façon simple.

Lui semble attiré par elle mais sans oser vraiment le montrer, lançant des signaux faibles et sibyllins, restant soucieux de maintenir une sorte de voile secret sur sa création et le sens de celle-ci. Elle, de son côté, est fasciné par cet homme venu d’un pays dont elle parle la langue, et tente de l’apprivoiser en l’invitant à découvrir la nourriture, omniprésente d’un bout à l’autre comme un moyen de compenser un mal-être permanent, qu’elle élabore vainement pour lui. Entre les deux s’interposent un petit-ami qu’elle n’aime pas vraiment et une mère à la fois possessive et un brin maladive.

C’est dans le silence hivernal que se déploie une relation étrange. Un silence où la jeune femme peut écouter les pinceaux de l’artiste dessiner des figures dont le féminin est absent et rêver de devenir celle qui sera enfin créée et dessinée. Mais les tentatives pour se rapprocher l’un de l’autre semblent aussi éphémères que les traces de pas dans la neige qui concluent ce très beau premier roman plein de pudeur, de charme et de poésie.

Publié aux Editions Zoe – 2016 – 138 pages