8.6.18

Hollywood Boulevard – Melanie Benjamin


Au tout début du vingtième siècle, des risque-tout se prennent à croire en la nouvelle technologie promise par l’arrivée de la caméra. Une armée de techniciens, d’opérateurs et d’acteurs fond sur la petite bourgade californienne qu’est alors Los Angeles, nouvelle Mecque d’un art qui se crée. Ils vont constituer ce que l’on appellera les gens du cinéma avant que ce terme ne désigne à proprement parler ce que nous convenons désormais de nommer comme le septième art. Entre 1910 et 1930, la petite bourgade tranquille va connaître un développement exponentiel, des trains entiers déversant au quotidien de nouveaux prétendants à cet eldorado fascinant bien qu’encore muet.
C’est précisément à cette époque que Melanie Benjamin situe l’essentiel de son roman. Pour ce faire, elle a effectué un incroyable travail de recherche et de documentation qui alimente son récit d’anecdotes et de références qui nous permettent de comprendre comment cette nouveauté allait faire fureur et devenir non seulement une nouvelle industrie produisant d’immenses fortunes mais, aussi, un outil de propagande au service du pouvoir américain.
Empruntant les traits de Frances Marion, première femme scénariste à être la mieux payée d’Hollywood, deux fois oscarisée dans les années trente, elle observe de l’intérieur l’évolution de la relation amicale et professionnelle entre celle qui débute comme petite scénariste et son amie Mary Pickford, sans doute la première star de Hollywood surnommée « la petite fille de l’Amérique » pour ses boucles blondes et son visage angélique qui lui valurent de construire sa gloire dans une série de films muets où elle jouait des rôles de fillette.
Autour de ce duo féminin gravite très vite le gratin d’Hollywood, Chaplin, Douglas Fairbanks, Griffith et Mayer constituant, entre autres, les personnages masculins avec lesquels elle vont faire du cinéma une activité essentielle et lucrative. Mary Pickford fut d’ailleurs avec son mari Douglas Fairbanks et Chaplin à l’origine de la création du studio United Artists créé, entre autres, pour résister à la pression des producteurs lassés de payer des fortunes à leurs stars respectives.
A travers le récit de la relation entre Frances et Mary, c’est toute l’histoire des débuts du cinéma à laquelle nous assistons. Celle d’une gloire déchaînant les passions en tous genres, amoureuses comme collectives, sous les traits de Mary qui se révèle une femme d’affaires inflexible. Celle aussi de la déchéance lorsque l’apparition du son et des paroles bouleversera les hiérarchies, propulsant dans l’ombre, les unes après les autres, les stars du muet incapables de s’adapter au profit des nouvelles venues telles que Greta Garbo ou Gloria Swanson par exemple. Pendant ce temps, la petite scénariste anonyme allait se faire un nom, bâtissant une partie de sa renommée pour avoir réalisé un film sur le rôle des femmes pendant la Première Guerre Mondiale qu’elle vécut sur le terrain elle-même et comprenant avant les autres la nécessité de repenser en profondeur la façon de faire du cinéma pour raconter de véritables histoires qui répondent aux attentes d’un public sans cesse en quête d’innovations.
Le roman de Melanie Benjamin est aussi un roman féministe en cela qu’il souligne et illustre à d’innombrables reprises le machisme systématique de ces hommes qui ne voient pas d’un bon œil des femmes occuper des postes de responsabilité. Il faudra une force de caractère hors du commun pour que des femmes telles que Mary et Frances s’imposent. On retrouve des échos nauséabonds de certaines des pratiques courantes du milieu dans les affaires de type Weinstein qui agitent le monde du cinéma en ce moment. Même si ce roman est, pour beaucoup, très féminin, s’intéressant de près aux affaires de cœur et aux couples qui se construisent pour mieux se déchirer ensuite, il n’en reste pas moins précieux et instructif.
Publié aux Editions Albin Michel – 2018 – 512 pages