2.7.18

Espace lointain – Jaroslav Melnik



Entre approche philosophique, récit de science-fiction et d’anticipation, le romancier et philosophe lituanien Jaroslav Melnik nous propose une dystopie plutôt bien ficelée et des plus intéressantes.
A une époque incertaine de la nôtre, les humains peuplant encore notre planète naissent et vivent aveugles. Placés sous l’autorité d’un Gouvernement unique et central qui contrôle et organise tout (travail, études, nourriture, transports, santé, sécurité etc…), ils vivent au sein d’une Mégapole dont ils ne savent presque rien. Depuis des lustres, tous sont en effet convaincus, grâce à un endoctrinement efficace, qu’il n’existe qu’un espace proche : celui dans lequel ils évoluent. Ainsi, tous croient que les formes géométriques des objets appréhendés par le toucher n’ont aucune existence réelle et ne sont qu’une projection mentale illusoire. De même, toute idée de déplacement dans l’espace est un leurre car il n’y a, par définition, qu’un espace proche à l’intérieur duquel ils évoluent tout au long de leur vie.
Pourtant, de temps en temps, un humain naît avec la faculté de voir. Celle-ci survient brutalement et provoque inéluctablement un choc pour l’individu qui constate qu’il existe un espace lointain. La conséquence en est inéluctablement l’effondrement de l’identité personnelle et sociale puisque le principe fondateur même de l’existence est ainsi remis en cause. Ce risque, le Ministère du Contrôle qui veille au fonctionnement harmonieux de la Mégapole ne peut le courir. C’est pourquoi, tous les individus frappés de ce syndrome rare, comme l’étudiant au centre du roman, Gabr Silk, sont immédiatement repérés, exfiltrés et traités pour les ramener à une cécité nécessaire au motif de traiter une psychose hallucinatoire.
Sur ce principe, Jaroslav Melnik construit un roman haletant puisque Gabr va se retrouver au centre d’un conflit mettant aux prises aveugles au pouvoir, une bande d’aveugles ex-voyants menant une guérilla terroriste et ceux qui, véritablement, contrôlent ce monde. De même qu’il existe des enjeux collectifs majeurs et vitaux entre les groupes qui s’opposent ou s’exploitent, de même Gabr devra faire une succession de choix structurants, et souvent se les voir imposés, qui décideront de sa vie.
Au-delà des péripéties du genre, au demeurant parfaitement agencées par un recours intelligent à une alternance de récits, d’interviews, de textes sacrés, d’articles de presse etc…, tout l’intérêt du livre est de nous amener à réfléchir sur des thèmes tels que le glissement lent et inéluctable du sécuritaire vers le totalitarisme, la légitimité de la révolte, le racisme et l’esclavage, le libre arbitre ou bien encore les croyances  et les dogmes qui sont les ingrédients de base à tout régime politique quel qu’il soit.
Malgré des traits parfois très – trop appuyés – rappelant que l’auteur est lui-même issu d’une famille dont les parents, sous le régime communiste, ont été envoyés au goulag, « Espace lointain » constitue une belle surprise qui mérite le détour.
Publié aux Editions Agullo Fiction – 2017 – 313 pages