28.1.13

Avant la chute – Fabrice Humbert


 
Depuis 2009, Fabrice Humbert collectionne les Prix littéraires et compte parmi les écrivains français actuels. Déjà, avec « L’origine de la violence », il nous interpellait sur le sens de l’Histoire et sur la place de la violence dans nos sociétés modernes. Et puis, avec « La fortune de Sila », il tentait de décoder les débordements d’un monde capitaliste devenu fou à travers une grande fresque romanesque financière.

Dans son dernier ouvrage, « Avant la chute », il reprend ces deux thèmes en les associant au travers de l’un des monstres sournois qui ravage des pans entiers de nos civilisations : le trafic de drogue. A son habitude, l’univers romanesque de Fabrice Humbert est d’une noirceur abyssale, d’un pessimisme absolu mais d’une puissance d’expression qui ne fait que s’affiner et s’affirmer, livre après livre.
L’auteur prend un parti qui aurait pu passer pour artificiel : celui de nous conter trois histoires a priori déconnectées les unes des autres mais dont on comprendra au fur et à mesure que le récit progresse qu’elles s’entrecoupent en divers endroits. Trois histoires à trois endroits différents d’une longue chaîne qui cadenasse le trafic mondial de la cocaïne mais intimement liées par l’omniprésence de la violence comme mode quasi unique visant à faire plier les plus faibles et à contraindre ceux qui tentent de résister à la gangrène qui se propage à céder faute de quoi une mort brutale, violente et souvent spectaculaire s’en chargera. Trois histoires donc que nous suivons avec une certaine passion tant l’écriture de Humbert est d’une élégance, d’une simplicité et d’un naturel qui savent vous enfermer immédiatement.
Chapitre après chapitre, dans un ordre immuable, nous suivons le chaos qui se propage avec un déferlement inaltérable tant la puissance des narco-trafiquants, leur détermination, leur capacité à recruter en masse des troupes toujours plus jeunes, plus déterminées et prêtes à tout, y compris à mourir atrocement et trop tôt avec l’illusion de vivre pleinement, dans la lumière, la gloire, la capacité à tout obtenir d’un claquement de doigt, femmes, argent et pouvoir, sont quasi absolues.
Pour Norma et Sonia, ce sera le long récit d’un périlleux périple vers la Terre Promise. Filles d’une pauvre famille de paysans colombiens, elles sont lancées sur les routes depuis que les terres du père ont été confisquées, les plans de cocaïne qu’ont lui avait imposé de cultiver arrachés et ce dernier exécuté, sans explication sous leurs yeux. Un objectif, les Etats-Unis. Mais pour cela, il faudra éviter les rançons, les passeurs véreux et surtout les bandes organisées prêtes à tout pour capturer, violer, torturer et vendre femmes et jeunes filles aux réseaux de prostitution.
Le Sénateur Uribal, dans son fief du Nord Mexique, semble le symbole de la réussite. Plus le récit progresse, plus nous découvrirons la noirceur d’un personnage symbolisant parfaitement la collusion entre le monde politique et le monde mafieux. Il lui faudra affronter ses propres contradictions, sa propre turpitude et une déchéance inéluctable face à un monde qui ploie sous un déluge de violence.
Nadir vit dans une cité de la région parisienne. Il est l’enfant rare, précoce, intelligent, admiré de ses professeurs, lui le fils d’une famille arabe. Il vit déconnecté de la réalité qui l’entoure, plongé dans ses livres jusqu’à ce que l’horreur le frappe de plein fouet, rattrapé par les jeux dangereux de son grand frère, petit caïd des cités, et par l’explosion d’une banlieue qui s’embrase, manipulée par les voyous qui y ont un intérêt.
Fabrice Humbert aime à construire ses récits en de multiples lieux, ici sur deux continents. S’appuyant sur une analyse détaillée de l’actualité et des faits authentiques, il distille un récit palpitant dont l’étau se resserre inéluctablement. A aucun moment il ne cherche à nous dire quoi en penser laissant, bien au contraire, le soin à ses lecteurs de tirer les conclusions qu’il voudra. Le livre marque, choque et interpelle : le signe d’un grand roman formidablement construit.

Publié aux Editions Le Passage – 2012 – 276 pages