Dans son dernier
ouvrage, « Avant la chute »,
il reprend ces deux thèmes en les associant au travers de l’un des monstres
sournois qui ravage des pans entiers de nos civilisations : le trafic de
drogue. A son habitude, l’univers romanesque de Fabrice Humbert est d’une noirceur
abyssale, d’un pessimisme absolu mais d’une puissance d’expression qui ne fait
que s’affiner et s’affirmer, livre après livre.
L’auteur prend un
parti qui aurait pu passer pour artificiel : celui de nous conter trois
histoires a priori déconnectées les unes des autres mais dont on comprendra au
fur et à mesure que le récit progresse qu’elles s’entrecoupent en divers
endroits. Trois histoires à trois endroits différents d’une longue chaîne qui
cadenasse le trafic mondial de la cocaïne mais intimement liées par l’omniprésence
de la violence comme mode quasi unique visant à faire plier les plus faibles et
à contraindre ceux qui tentent de résister à la gangrène qui se propage à céder
faute de quoi une mort brutale, violente et souvent spectaculaire s’en
chargera. Trois histoires donc que nous suivons avec une certaine passion tant
l’écriture de Humbert est d’une élégance, d’une simplicité et d’un naturel qui
savent vous enfermer immédiatement.
Chapitre après
chapitre, dans un ordre immuable, nous suivons le chaos qui se propage avec un
déferlement inaltérable tant la puissance des narco-trafiquants, leur
détermination, leur capacité à recruter en masse des troupes toujours plus
jeunes, plus déterminées et prêtes à tout, y compris à mourir atrocement et
trop tôt avec l’illusion de vivre pleinement, dans la lumière, la gloire, la
capacité à tout obtenir d’un claquement de doigt, femmes, argent et pouvoir,
sont quasi absolues.
Pour Norma et
Sonia, ce sera le long récit d’un périlleux périple vers la Terre Promise.
Filles d’une pauvre famille de paysans colombiens, elles sont lancées sur les
routes depuis que les terres du père ont été confisquées, les plans de cocaïne qu’ont
lui avait imposé de cultiver arrachés et ce dernier exécuté, sans explication sous
leurs yeux. Un objectif, les Etats-Unis. Mais pour cela, il faudra éviter les
rançons, les passeurs véreux et surtout les bandes organisées prêtes à tout
pour capturer, violer, torturer et vendre femmes et jeunes filles aux réseaux
de prostitution.
Le Sénateur
Uribal, dans son fief du Nord Mexique, semble le symbole de la réussite. Plus
le récit progresse, plus nous découvrirons la noirceur d’un personnage
symbolisant parfaitement la collusion entre le monde politique et le monde
mafieux. Il lui faudra affronter ses propres contradictions, sa propre
turpitude et une déchéance inéluctable face à un monde qui ploie sous un déluge
de violence.
Nadir vit dans
une cité de la région parisienne. Il est l’enfant rare, précoce, intelligent,
admiré de ses professeurs, lui le fils d’une famille arabe. Il vit déconnecté
de la réalité qui l’entoure, plongé dans ses livres jusqu’à ce que l’horreur le
frappe de plein fouet, rattrapé par les jeux dangereux de son grand frère,
petit caïd des cités, et par l’explosion d’une banlieue qui s’embrase,
manipulée par les voyous qui y ont un intérêt.
Fabrice Humbert aime
à construire ses récits en de multiples lieux, ici sur deux continents. S’appuyant
sur une analyse détaillée de l’actualité et des faits authentiques, il distille
un récit palpitant dont l’étau se resserre inéluctablement. A aucun moment il
ne cherche à nous dire quoi en penser laissant, bien au contraire, le soin à
ses lecteurs de tirer les conclusions qu’il voudra. Le livre marque, choque et
interpelle : le signe d’un grand roman formidablement construit.
Publié aux
Editions Le Passage – 2012 – 276 pages