« La réserve » est le dernier roman publié par ce
géant de la littérature américaine contemporaine. Pourtant, et malgré l’immense
admiration que nous avons pour l’œuvre de Banks, « La réserve » nous
a laissé sur notre faim.
Banks a pris le parti de changer de registre. Nous ne
côtoyons plus les laissés pour compte de l’Amérique, les paumés en marge,
habitant des mobile-homes ou conduisant des camions, se débrouillant entre des
pères alcooliques et des boulots de droguistes, autant de situations quasi
obsessionnelles et autographiques, pour certaines du moins, qui ont hanté les
œuvres de l’auteur.
Cette fois, c’est du côté de la grande bourgeoisie, des
nantis, des préservés de la crise que Banks nous entraîne. Toutefois, c’est
encore dans l’une des régions de prédilection de l’auteur, les Adirondacks, que
la quasi totalité de ce long roman va se dérouler. Un roman qui nous a paru
hésiter, pendant la première centaine de pages, entre le scenario hollywoodien,
l’histoire d’amour inhabituelle chez l’auteur qui, pourtant, prend bien soin de
semer des indices qui interpellent le lecteur sur la nature de l’évolution de
l’intrigue.
Puis, brutalement, le roman va basculer dans le côté obscur
nous faisant côtoyer une fois encore l’inépuisable complexité de l’âme humaine.
Et c’est là qu’on sent Banks a l’aise, même s’il semble ne pas arriver à se
départir du territoire bourgeois où il a choisi de s’installer. Et c’est ce qui
crée un décalage un peu désagréable dont nous ne sommes jamais parvenus à nous
débarrasser tout au long du roman.
C’est autour d’un quatuor d’individus que le roman va se
construire. Jordan Groves et son épouse habitent à l’année une résidence
rupestre et chic, que Jordan a construite de ses mains, sur les bords de l’un
des majestueux lacs de la réserve des Adirondacks. Il est un peintre reconnu,
engagé, communiste, lié aux écrivains contestataires de ces années qui
précèdent la deuxième guerre mondiale.
Convié à une soirée chez un voisin homme d’affaires qui
possède une très belle résidence secondaire luxueuse, il s’y rend par un moyen
de transport habituel pour lui : son hydravion.
Grand amateur de femmes, il va tomber sous le charme de la
fille fantasque de son hôte, Vanessa Cole. Vanessa est une trentenaire fatale,
deux fois divorcée, une dévoreuse d’hommes. C’est aussi une femme
psychologiquement fragile, aux actes souvent impulsifs et aux conséquences
imprévisibles.
Une complexe histoire d’amour va peu à peu se nouer entre
ces deux individus qui jouent à se séduire, à se repousser, à se manipuler en
profitant du décès brutal du père de Vanessa qui semblait jusque là la protéger
d’elle-même.
Alors qu’il croyait son épouse lui être fidèle, Jordan
découvrira par hasard l’adultère de son épouse avec un guide veuf, beau comme
un dieu, taciturne et simple, Hubert Saint Germain. Une trahison en réponse aux
innombrables aventures de Jordan, une réponse à la solitude et au désespoir
d’une femme délaissée et qui a renoncé à ses talents pour se dédier à ses
enfants et à son époux devenu célèbre.
Cet adultère deviendra le prétexte pour Jordan à céder à
Vanessa ce qui, par un complexe concours de circonstances alambiquées, va
conduire à la perte du quatuor et à une série de cataclysmes rapidement
improbables.
La complexité même de l’intrigue, le lieu inhabituel à
l’auteur finissent par rendre la lecture assez laborieuse et par
considérablement amoindrir l’intensité dramatique psychologique qui pourtant
explose sous nos yeux. On s’ennuierait presque même, parfois…
Donc, à ne recommander qu’aux inconditionnels. Vous pourrez
découvrir Russel Banks avec plus de profits dans ses œuvres moins récentes.
Publié aux Editions Actes Sud – 380 pages