Voilà un livre
fascinant et dérangeant à plus d’un titre, à ne pas laisser en n’importe
quelles mains. Fascinant par sa forme, car on peut le lire comme un roman fait
d’une succession de chapitres qui s’enchaînent les uns aux autres par un des
personnages de l’intrigue plus que par la linéarité du récit dont la cohérence
globale n’apparaîtra au fond qu’à la toute fin. Ou bien comme une succession de
nouvelles, indépendantes les unes des autres, mais qui, lorsqu’on les accole les
unes aux autres, mettent un évidence un principe de distorsion de la réalité,
le lecteur n’étant jamais vraiment certain de ce qui se passe, de la frontière
entre le réel imaginé et le fantasme, le rêve et le rêve éveillé, le cauchemar
d’une vie qui sort de tout contrôle ou la peur de perdre ce contrôle. Autant de
niveaux de lecture imbriqués les uns dans les autres qui ne font que renforcer
le pesant malaise qui s’empare de nous au fur et à mesure que la lecture
progresse. Un ouvrage qui tient du fantastique et de l’érotique à la fois, ce
dernier se nourrissant souvent, on le sait, de ses propres fantasmes.
Qui est donc
Dahlia, étrange prénom d’un jeune homme qui finit par s’incruster dans une
famille japonaise d’une petite ville de province secouée par des violences
racistes ? Un dahlia noir, une fleur vénéneuse et éminemment mortifère qui
va faire de l’épouse une esclave sexuelle acceptant tous les traitements les
plus dégradants. Mais aussi plonger le mari, longtemps éloigné des plaisirs de
la chair, dans une extase orgasmique incomparable sans que l’on ne sache
vraiment si cela eut lieu ou fut simplement rêvé. Séduire l’adolescente de la
famille pour en faire une dépravée. Pousser l’aîné de la fratrie à une violence
aveugle et jamais condamnée. Mystifier le plus jeune sur le sens de la vie et
de la mort. Rendre plus confuse encore la perception qu’a du monde le
grand-père, sorte de témoin possédant un ultime sursaut de lucidité de la
destruction en cours d’une famille qui n’attendait qu’un agent extérieur pour
exploser littéralement.
Tsuji, qui
s’était fait connaître en France par son roman « Bouddha blanc » il y
a une quinzaine d’années, emprunte ici le thème de « Théorème » de
Pasolini tout en l’épurant de son aspect social pour ne se concentrer que sur
la confusion qui s’empare d’êtres en pleine dérive. Un livre brutal et fort qui
distillera son effet longtemps après l’avoir refermé.
Publié aux
Editions Seuil – 2011- 133 pages