Le triangle
amoureux a donné lieu à bien des romans et des pièces de théâtre. Pourtant,
comme Barnes ne fait jamais rien comme les autres, il réussit à faire de cet
archétype un véritable petit bijou de férocité, aussi drôle que terriblement
lucide et qui dit beaucoup sur la complexité des relations humaines. On s’y
amuse beaucoup malgré les coups bas et les erreurs à répétition dans lesquels
les personnages imaginés par l’auteur se débattent.
Stuart, banquier
sans envergure et trentenaire sans autre qualité que sa loyauté à toute
épreuve, son souci des autres, sa ponctualité et son côté a priori
fondamentalement prévisible et tranquille a décidé de mettre fin à sa vie de
célibataire un peu terne. Par le biais d’une petite annonce et d’un club de
rencontres, il fait la connaissance de Gillian, désormais restauratrice de
tableaux, qui elle aussi cherche à se caser. Stuart la trouve attirante et à
son goût ; elle le trouve rassurant et charmant par ses attentions. Ils
vont donc décider de se marier, histoire de se ranger, se convainquant d’un
amour réciproque inaltérable et réel. Oliver, l’ami d’enfance de Stuart, est le
compère de toujours de ce dernier. C’est un être instable, brillant mais
possédant un talent certain pour se fourrer dans des situations embarrassantes
et inextricables. Un peu surpris de ce mariage, il va devenir le chien dans un
jeu de quilles lorsque, subitement, le jour des noces il va tomber éperdument
amoureux de Gillian. Commencera alors un jeu de séduction, dans le dos de
Stuart, n’ayant d’autre but que de pousser Gillian à divorcer pour l’épouser
lui.
Sur ce thème
classique, Barnes prend le parti de nous donner lecture de ce qui se passe par
une succession de courtes notes, un peu à la manière d’un journal intime ou
d’un carnet d’observations, où chacun des protagonistes, complétés
ponctuellement de personnages tiers secondaires qui font part de leurs propos
de façon en général aussi décalée qu’hilarante, va livrer son point de vue, ses
interrogations ou ses stratagèmes en vue d’arriver à ses fins. Car, bien
entendu, tous finiront par devenir des arroseurs arrosés d’un jeu pervers où
tout le monde est perdant. La vie n’est jamais simple n’est-ce-pas …
Du coup, les
drames parallèles qui se déroulent sous nos yeux prennent un caractère
éminemment sympathiques et drolatiques du fait de la confrontation brutale des
a priori, des tactiques des uns et de la perception de ce qui se passe ou se
trame par les autres, tout le monde finissant par manipuler tout le monde. L’amour
mène le monde y compris jusqu’à sa perte semble nous dire, en nous dévoilant le
dessous des cartes truquées, un Barnes au meilleur de sa forme.
Publié aux
Editions Denoël – 1991 – 314 pages