Les livres de
Paul Nizon lui ressemblent. Et ce n’est pas « La fourrure de la
Truite » qui dérogera à la règle ! L’auteur a fui le domicile
conjugal étroit et étouffant de la ville un peu guindée qu’est Bern, en Suisse
allemande dont il est originaire. Il s’est depuis installé à Paris pour y vivre
une vie d’artiste, libre, sans contrainte autre que la rêverie, la flânerie et
l’écriture. Nizon déteste les cadres formateurs et s’est fait le chantre du
récit autofictionnel. C’est donc une figure allégorique de lui-même qu’il
faudra voir dans le personnage romanesque de Stolp.
Stolp est issu
d’une longue lignée d’acrobates. Une vie d’artistes, toujours à la recherche
d’un numéro improbable fait pour marquer les esprits. Une vie en mouvements,
sans se poser nulle part. Une vie qu’il n’a jamais menée lui qui fut le premier
à connaître une existence sédentaire, avec un job quelconque, sans intérêt. Son
enracinement fut son épouse qu’il adorait mais sans doute mal car elle l’a
plaqué. Se voyant désigné comme bénéficiaire de l’héritage d’une tante qu’il ne connaissait guère, le voici à Paris, du côté de Montmartre, dans un petit appartement qui fut celui de la tante brutalement décédée en pleines vacances. Un appartement encombré d’objets et de meubles qui l’étouffent. Un appartement saturé de vêtements et en particulier de fourrures. A quelques pas de là se trouve une boutique de fourrures précisément où la tante se fournissait régulièrement. Y trône une intrigante gravure libertine bizarrement intitulée « La fourrure de la Truite ».
Stolp est un
homme pressé, toujours en mouvement, plein de questionnements sur tout et rien,
du plus futile au plus essentiel, constamment en quête de lui-même, d’un sens à
donner à sa vie et du sens à donner à la trahison de son épouse Clara. Alors il
se met à sillonner les alentours de son nouveau domicile, à fréquenter les
petites tables alentour, les bars typiques. Il y rencontrera Carmen avec qui il
tentera un tout petit bout de chemin mais se comportera avec elle en véritable
goujat, trop pressé de bouger, incapable de s’attacher, de s’arrêter, d’aimer,
lui qui ne s’aime pas lui-même.
Stolp, le
anti-héros. Stolp, le poète profondément antipathique, jouant avec les êtres,
tirant parti d’eux sans jamais rien donner de véritablement sincère et profond
car il lui faut avancer, à la recherche de lui-même. Stolp qui ne répond pas à
ses propres questions, en recherche d’une lumière qu’il ne saura sans doute
jamais trouver, une chimère chassant l’autre, la nécessité d’un engagement,
même minime, poussant à la fuite par peur de devoir devenir véritablement
adulte et devoir s’affronter soi-même.Du coup, le titre énigmatique prend sans doute un sens multiple. Il pourrait être celui du surnom de la demi-mondaine mise en scène dans ce cadre provocateur. Plus probablement, il oppose le matérialisme d’une tante obsédée par l’accumulation, la thésaurisation dont les fourrures en sont le symbole le plus vif, au vagabondage d’un esprit pressé, celui de Stolp, qui scintille dans l’air comme une truite dans l’eau, insaisissable pour lui-même autant que pour les autres. Mais ce qui surprend le plus dans ce livre étrange c’est que, malgré l’antipathie profonde, viscérale qui émane de Stolp, on ne peut pas rester insensible à l’ineffable poésie d’un auteur au charme singulier.
A découvrir.
Publié aux
Editions Actes Sud – 2005 – 136 pages