Enis Batur est un des grands écrivains turcs contemporains.
Sa production est nombreuse, variée (essais et poèmes essentiellement) et
partiellement traduite en Français. Il a reçu une éducation classique française
dans un collège et lycée religieux français en Turquie et sa connaissance de la
langue française et de ses grands auteurs classiques est excellente.
Aborder Enis Batur par « D’autres chemins » (comme
ce fut mon cas), n’est probablement pas la meilleure façon de procéder et je
préfère en avertir les esprits curieux sans tarder !
Ce récit est en effet un étrange mélange de récit
autobiographique, de descente hasardeuse dans des souvenirs ou des impressions
personnelles, d’envolées lyriques sur certains auteurs français, de références
incessantes à ses œuvres dont nous ne savons rien ni sur le fond ni sur la
forme. Les hommes et les femmes côtoyés tout au long de sa vie d’écrivain y
sont convoqués au gré des souvenirs sans qu’il ne soit jamais explicitement dit
de qui il s’agit. Il faut parfois parcourir de nombreuses pages denses avant de
deviner qu’il est fait référence à un père politicien et figure de la Turquie,
à un fils, à un ami, à un grand-père… Toutefois, les femmes sont curieusement
absentes la plupart du temps dans ses convocations.
Batur se trouve au carrefour des cultures occidentales et
orientales et son écriture s’en ressent immédiatement. Elle possède la force
structurelle classique, la richesse de vocabulaire tout en se laissant porter
par le chatoiement des images, l’éblouissement des couleurs ou des sentiments.
Elle se refuse en tous cas à toute linéarité : le temps y est
systémiquement et inconsciemment détruit, nié, aboli. Du coup, ou bien on
accepte d’être entrainé dans une forme de maelstrom légèrement narcotique, en
renonçant à comprendre pour ne se laisser bercer que par la magie des mots, ou
bien l’on s’accroche à la rationalité et l’on ne pourra quitter ce récit que
frustré, voire agacé.
J’ai pour ma part choisi la première option mais mon esprit
cartésien occidental m’a trop vite rattrapé et j’ai, du coup, lâché le récit
aux environs des deux tiers, n’en pouvant plus de références inexpliquées à des
êtres, des lieux, des situations incompréhensibles à un non turc voire à un non
proche de l’auteur.
Or, c’est, à mes yeux, bien là la limite absolue de cet
ouvrage qui, structurellement, ne pourra concerner qu’une poignée de lecteurs convaincus
en France. D’où la question : pourquoi l’avoir traduit, puis édité ?
Mesdames et Messieurs d’Actes Sud, dont j’admire par ailleurs la ligne
éditoriale qui structure Cetalir, j’apprécierai une réponse à cette question
inhabituelle.
Publié aux Editions Actes Sud – 2009 – 262 pages