Cinq ans plus
tard, ce qui est un peu long pour une seconde gestation, Frédéric Ciriez
accouche d’une nouvelle histoire pleine d’originalité et d’une certaine fureur.
Pas vraiment une histoire d’ailleurs mais plutôt la juxtaposition de trois
vies, organisées en trois sections parfaitement distinctes portant les noms de
Transfixion, Transformation et Transaction. Trois parties qui peuvent se lire
indépendamment les unes des autres même s’il existe un fil très ténu entre ces
personnages qui se croisent, à peine, dans un grand Paris décrit de manière
assez sublime et très inspirée.
En cette veille
de 1er Mai, trois personnages suivent leurs destins. Le premier est
un inspecteur du travail et syndicaliste. Dans une ouverture saisissante qui
pourrait nous faire croire, à tort, à celle d’un bon roman policier, Ciriez
nous donne à voir son cadavre. L’homme est écroulé, assis calmement, un couteau
planté en plein cœur dans sa Xantia hors d’âge. Il s’est garé à quelques
encablures de l’usine de retraitement des déchets que nous croiserons dans la
deuxième partie. Sans laisser planer le moindre doute, l’auteur nous indique
que l’homme s’est suicidé en laissant comme un inutile indice la facture de
l’objet de la « transfixion », terme technique qui décrit la
perforation de part en part d’un organe. Nous allons alors remonter le cours de
sa vie et comprendre comment cet homme est mort de solitude.
Parfait est l’un
de ces Congolais établis à Paris. Le jour, il est chauffeur de benne et chef
d’une équipe d’éboueurs qui vide les poubelles du Xème arrondissement. Sa vraie
vie est la nuit où sa « Transformation » s’opère. C’est un roi de la
sape, qui se pare comme un Dieu et dépense sans compter pour briller, en mettre
plein la vue, remplir du regard des autres sur lui une vie autrement vide et
sans intérêt. Ciriez réussit là la meilleure partie de son livre, mêlant humour
et fantaisie, décrivant avec un art consommé les joutes des sapeurs dans un Paris
noctambule et interlope.
Barbara est une
petite Chinoise lesbienne, étudiante à l’ESCP. Une fille qui en veut parce
qu’elle refuse de finir prolétaire comme ses parents confinés dans un minable
restaurant parisien. Pour payer ses études, elle a monté son propre business et
vend avec une marge insoupçonnable de multiples babioles achetées en gros dans
un magasin d’import d’articles fabriqués en masse en Chine. Pour effectuer ses
« Transaction »(s), elle se déplace dans tout Paris en roller, un
gloryfier (ce présentoir à cigarettes en vogue aux USA dans les années
soixante) accrochée à son cou.
A sa façon,
chacun de ces personnages nous donnera une vision d’un Paris différent, celui
des quartiers anonymes et sans relief, celui des usines de retraitement des
déchets et du monde de la nuit, celui des rues grouillantes de touristes et des
lieux d’intimité nocturne. Mais aussi, sur un fond de solitude et parce que chacun
d’eux est à la recherche de sa vraie place dans le monde, une histoire
mélodramatique qui donne sa cohérence à ce beau Mélo, écrit de façon très
travaillée, porteuse d’un véritable souffle épistolaire.
Publié aux
Editions Verticales – 2013 – 323 pages