17.8.13

Mélo - Frédéric Ciriez


 
Frédéric Ciriez avait été l’un de nos coups de cœur 2008 avec le très original et décapant « Des néons sous la mer » qui relatait l’histoire rocambolesque d’un sous-marin transformé en bordel, administré par des péripatéticiennes regroupées en SARL ouvrant le sas d’accès seulement après avoir observé leurs clients putatifs à travers l’œil du périscope. Un monde interlope et joyeux à la fois porté par une écriture gonflée à bloc.

Cinq ans plus tard, ce qui est un peu long pour une seconde gestation, Frédéric Ciriez accouche d’une nouvelle histoire pleine d’originalité et d’une certaine fureur. Pas vraiment une histoire d’ailleurs mais plutôt la juxtaposition de trois vies, organisées en trois sections parfaitement distinctes portant les noms de Transfixion, Transformation et Transaction. Trois parties qui peuvent se lire indépendamment les unes des autres même s’il existe un fil très ténu entre ces personnages qui se croisent, à peine, dans un grand Paris décrit de manière assez sublime et très inspirée.
En cette veille de 1er Mai, trois personnages suivent leurs destins. Le premier est un inspecteur du travail et syndicaliste. Dans une ouverture saisissante qui pourrait nous faire croire, à tort, à celle d’un bon roman policier, Ciriez nous donne à voir son cadavre. L’homme est écroulé, assis calmement, un couteau planté en plein cœur dans sa Xantia hors d’âge. Il s’est garé à quelques encablures de l’usine de retraitement des déchets que nous croiserons dans la deuxième partie. Sans laisser planer le moindre doute, l’auteur nous indique que l’homme s’est suicidé en laissant comme un inutile indice la facture de l’objet de la « transfixion », terme technique qui décrit la perforation de part en part d’un organe. Nous allons alors remonter le cours de sa vie et comprendre comment cet homme est mort de solitude.

Parfait est l’un de ces Congolais établis à Paris. Le jour, il est chauffeur de benne et chef d’une équipe d’éboueurs qui vide les poubelles du Xème arrondissement. Sa vraie vie est la nuit où sa « Transformation » s’opère. C’est un roi de la sape, qui se pare comme un Dieu et dépense sans compter pour briller, en mettre plein la vue, remplir du regard des autres sur lui une vie autrement vide et sans intérêt. Ciriez réussit là la meilleure partie de son livre, mêlant humour et fantaisie, décrivant avec un art consommé les joutes des sapeurs dans un Paris noctambule et interlope.
Barbara est une petite Chinoise lesbienne, étudiante à l’ESCP. Une fille qui en veut parce qu’elle refuse de finir prolétaire comme ses parents confinés dans un minable restaurant parisien. Pour payer ses études, elle a monté son propre business et vend avec une marge insoupçonnable de multiples babioles achetées en gros dans un magasin d’import d’articles fabriqués en masse en Chine. Pour effectuer ses « Transaction »(s), elle se déplace dans tout Paris en roller, un gloryfier (ce présentoir à cigarettes en vogue aux USA dans les années soixante) accrochée à son cou.

A sa façon, chacun de ces personnages nous donnera une vision d’un Paris différent, celui des quartiers anonymes et sans relief, celui des usines de retraitement des déchets et du monde de la nuit, celui des rues grouillantes de touristes et des lieux d’intimité nocturne. Mais aussi, sur un fond de solitude et parce que chacun d’eux est à la recherche de sa vraie place dans le monde, une histoire mélodramatique qui donne sa cohérence à ce beau Mélo, écrit de façon très travaillée, porteuse d’un véritable souffle épistolaire.
Publié aux Editions Verticales – 2013 – 323 pages