Némésis sera-t-il
le dernier roman jamais publié par Philip Roth ? Sans doute à en croire
les déclarations mêmes de l’auteur aux Inrockuptibles (voir http://www.lesinrocks.com/2012/10/07/livres/philip-roth-nemesis-sera-mon-dernier-livre-11310126/) et confirmées ensuite par son éditeur.
Arrivé à l’âge de soixante-dix-huit ans, Philip Roth ne se sent plus l’énergie
de composer avec la frustration de devoir se battre avec les brouillons, les
multiples tentatives jusqu’à trouver la bonne formulation, la bonne linéarité
ou la bonne idée. Il préfère désormais se consacrer à la préparation de se
mémoires afin que son biographe (car il ne doute pas un seul instant qu’une
fois mort on voudra à tout prix écrire sa biographie) dispose d’un matériau le
plus juste et complet possible.
Némésis est ainsi
le quatrième et dernier volume du cycle « Nemeses » (qui signifie
fatalité en américain) après « Un Homme », « Indignation »
et « Le Rabaissement ». Un cycle où il est question du comportement
face à la mort et aux multiples menaces qui remettent régulièrement nos
existence en cause.
Ici, c’est en
repensant aux épidémies de polio qui, chaque été, frappaient dans son enfance,
jusqu’à l’invention du vaccin en 1955, que Roth construit un roman superbe et
d’une architecture totalement maîtrisée.
L’Amérique de
1943 dans la ville de Newark se trouve confrontée à un double défi. D’un côté,
sortir du piège de la guerre du Pacifique puis de l’engagement armé en Europe
alors que chaque semaine, des familles de la communauté juive de la ville
doivent composer avec l’information tant redoutée : celle d’un fils, d’un
frère, d’un mari ou d’un amant tombé au front. De l’autre, une épidémie de
polio qui frappe de plus en plus brutalement les enfants de tout milieu et de
toute religion.
Bucky Cantor a décidé de faire front à sa façon. En tant que jeune
Directeur des terrains de jeu de la ville, il conserve son calme et continue
d’organiser les activités sportives des enfants dont il a la charge tout en
renforçant les mesures sanitaires de sécurité. Pourtant, les gamins commenceront
à tomber comme des mouches.
Sur l’insistance de sa fiancée, institutrice et monitrice d’un camp de
jeunesse situé à l’abri des miasmes en altitude, Bucky finira par accepter de
venir la rejoindre pour remplacer un professeur de sport appelé sous les drapeaux.
Il deviendra alors malgré lui le vecteur du malheur pour les jeunes dont il est
responsable et pour lui-même.
La question centrale abordée par Philip Roth est celle de la culpabilité.
Dans la première partie du roman, deux sentiments coupables existent. Celui des
familles qui cherchent une explication même totalement irrationnelle aux
raisons qui font de leurs enfants bien-portants les victimes innocentes d’une
terrible maladie. Il faut des boucs-émissaires et seul le sang-froid de Bucky
permettra de contenir les foules. Mais aussi la culpabilité de Bucky de n’être
pas parti se battre à cause d’une vue mauvaise qui l’a fait réformer, alors que
tous ses amis sont au front. Du coup, il lui faut adopter inconsciemment une
attitude héroïque jusqu’au point où la pression psychologique et amoureuse de
celle qu’il doit épouser le fasse, la mort dans l’âme, quitter son poste en
pleine épidémie.
Mais, fondamentalement, une fois le
drame posé, la psychologie des personnages bien connue, Roth nous interpelle
sur la question de savoir jusqu’où notre responsabilité est engagée lorsque
nous devenons malgré nous l’agent du malheur et comment nous pouvons choisir de
vivre vis-à-vis de cette fatalité.
Dans le cas de Bucky, la déesse de la vengeance et de la colère, émissaire
de la Justice, Némésis, aura dicté un verdict absolu et aussi fermement
irrévocable que l’état d’esprit intégral et inflexible du personnage qu’elle
frappe.
Roth signe avec cet ultime roman un livre absolument magnifique.
Publié aux Editions Gallimard – 2012 – 227 pages