Lorsque Tian Sen, un jeune Chinois d’une vingtaine d’années,
embarque sur le Ming Sing 23, il ne sait pas encore que c’est pour vivre un
enfer. Comme les deux cents autres passagers clandestins de ce cargo miteux et
rouillé, il fuit une Chine sans perspectives pour rejoindre Haïti, puis de là,
l’Amérique, promesse utopique d’un avenir meilleur. Mais, au fond de lui-même,
il n’est pas certain de ses réelles motivations et ce long voyage en mer va
constituer pour lui, au-delà des épreuves terribles qui vont le joncher, un
moyen d’y voir clair sur lui-même, sur ce qu’il désire être, sur l’acceptable
ou non, sur ceux dont il découvrira, au loin, qu’il les aime et qu’il n’aurait
jamais dû les quitter.
Logés à fond de cale avec interdiction de se montrer lorsque
l’immonde rafiot croise les côtes, les deux cents malheureux vont se trouver
livrés à la seule volonté d’un homme, le véritable maître à bord, Yap-Chef de
bateau comme ils ne vont pas tarder à le surnommer.
Dès qu’ils seront au large commenceront les coups, les
brimades, les confiscations. Yap fait régner une terreur constante pour les
garder sous son contrôle. En les sous-alimentant, en refusant de soigner les
malades de plus en plus nombreux faute de conditions sanitaires minimales, il
compte s’assurer une domination sans partage avec un équipage et un capitaine à
sa merci. Yap est un homme de peu de foi que Ming Sing va peu à peu décoder en
tentant de l’apprivoiser. Cet ancien garde rouge a fait du trafic de boat
people un business et sa spécialité semble bien être un voyage sans retour qui
sème les cadavres à la mer au fur et à mesure que la maladie, la sauvagerie ou
la violence frappent.
Plus les jours passent, plus l’angoisse monte. Une angoisse
entretenue par la manipulation, Yap n’hésitant pas à alterner faveurs et
punitions pour mieux monter les clandestins les uns contre les autres, juguler
toute tentative de mutinerie qui pourtant finira par arriver avant d’avorter
confusément.
Pour beaucoup parmi les clandestins comme les membres
d’équipage, la mort sera au bout de la poupe et le voyage une totale
désillusion au fur et à mesure que les jours passent, que la nourriture
s’avarie, que le fuel s’épuise sans la moindre terre en vue.
Chaque jour qui s’écoule offre au jeune Tian Sen l’occasion
de mûrir. Lui qui se réfugiait sous le casque de son walk-man pour s’isoler de
l’horreur et des autres ne pourra plus fuir lorsque l’appareil finira par
rendre l’âme. Lui qui aura vainement tenté de protéger certains des maltraités,
de les soigner avec les moyens du bord, de leur offrir une cérémonie funéraire
dans la tradition va apprendre à se jouer des autres, à survivre alors que tout
autour la mort rôde. Au bout du compte, c’est un homme aguerri qui aura survécu
aux multiples pièges tendus, aura appris la ruse tout en gardant intacte son
âme, ayant refusé les compromissions, qui émergera.
Carl de Souza aura trouvé là un thème poignant pour son
roman. On regrettera cependant un certain manque de maîtrise littéraire, une
absence de souffle, voire, parfois, une certaine confusion dans l’intrigue qui
font que ce livre, qui aurait pu être excellent, n’en est au mieux que bon.
Publié aux Editions de l’Olivier – 2001 – 205 pages