Entrer dans l’univers
romanesque de Daniel Vann rendu célèbre en France grâce au petit éditeur Gallmeister
qui s’est fait une spécialité de nous faire découvrir des trésors inédits
venant de l’étranger, c’est accepter de se faire bousculer, d’être plongé dans
un bain d’acide et de violence comme autant d’émanations irrépressibles causées
par les instincts les plus bas dont est capable l’humanité.
Le ton avait été
donné avec son best-seller Sukkwan Island
et développé dans les deux romans qui ont suivi (Impurs et Désolations). Un
ton sous forme de catharsis qui ne se cache même pas de la part de l’auteur
marqué à jamais par le suicide de son père lequel lui aura laissé pour seul
héritage sa collection d’armes à feu. David Vann a vécu une enfance violente
dans une famille à problèmes. Une enfance ponctuée par de sanglantes parties de
chasse au sein d’une nature sauvage, âpre et hostile qu’il faut combattre pas à
pas pour progresser, traquer et tuer.
Voici le sel de
son œuvre, l’observation de la façon dont les rapports humains au sein d’une même
famille vont évoluer vers le drame inévitable au sein d’une nature gigantesque
par ses dimensions et qui les isole du reste du monde, rendant alors tout
possible y compris le plus improbable.
En entrant dans « Goat
Mountain » on ne peut s’empêcher de penser à « Délivrance » de
James Dickey. Même atmosphère lourde. Même nature omniprésente et écrasante.
Mêmes dérapages et désordres psychologiques conduisant à des situations de
violence extrême rendant l’écart entre hommes et bêtes de plus en plus ténu.
Mais, à la
différence de « Délivrance », David Vann place « Goat Mountain »
sous le signe de la Bible comme si tout ce qui allait se passer était
inévitable depuis que Caïn a tué Abel et que l’histoire de l’Homme s’est donc
placée sous le sceau du meurtre, seul moyen d’imposer sa volonté. Il existe une
sorte de fatalité, de destin inéluctable qui n’attend pour s’opérer que les
bonnes circonstances. C’est cela que nous dit David Vann dans chacun de ses
quatre romans publiés jusqu’ici et plus particulièrement encore dans ce dernier
opus.
Celui par lequel
le scandale arrivera est un gamin de onze ans. Un gosse qui accompagne depuis
qu’il est en âge de marcher son grand-père, un géant taciturne, son père qui l’élève
seul et l’ami de celui-ci dans leurs interminables parties de chasse menées
dans le ranch familial immense et niché au cœur des montagnes californiennes.
Cette partie doit
cependant être différente car elle est celle au cours de laquelle le gosse doit
tuer son premier cerf. Mais, lorsqu’ils pénètreront sur leur propriété, ce n’est
pas un cervidé qu’ils apercevront dans la lunette du fusil du père mais un
braconnier. Tendant son arme à son fils pour qu’il observe l’intrus par
lui-même, voici le père qui autorise un geste auquel personne ne s’attend. Car
le gamin, sans explication, va tirer et l’homme tomber, raide mort.
Dès lors, l’auteur
nous entraîne dans un récit sombre et fou où d’innombrables questions morales s’entremêlent.
Que faire du corps ? Que dire ou non ? Comment expliquer le geste du
môme ? Et, surtout, que faire d’un môme qui n’éprouve pas le moindre
regret vis-à-vis de ce qu’il a commis comme si abattre un cerf ou un homme ne
faisait aucune différence ?
C’est cette
dernière question, lancinante, d’abord à peine proférée puis de plus en plus
ouvertement formulée qui va devenir le véritable enjeu de ce qui se trame. Un
enjeu qui révèle les tensions refoulées au sein du groupe au point de conduire
d’étape en étape de plus en plus paroxystiques à des scènes presqu’insoutenables
parfois.
David Vann est un
orfèvre du genre. Il sait nous tenir en haleine de bout en bout, faire monter
une tension presque sans limite, imaginer une fin inattendue tout en maniant
une plume affutée et aussi brutale que ses personnages. Un roman très fort !
Publié aux
Editions Gallmeister – 2014 – 256 pages