Coincé entre
« D’acier » qui l’a fait connaître et « Marina Bellezza »
(en lice pour le Prix des Libraires en Seine mais que nous n’avons clairement
pas beaucoup apprécié), est paru un
petit récit, on dirait sans doute une courte novella, au départ publié dans le
Corriere della Serra. Le voici désormais traduit en Français et disponible.
L’univers de Silvia
Avallone est celui des obscurs, des abîmés de la vie, des marginaux et des
ratés en tous genres. Ils ont leur propre panache, leur dérision sublime, leurs
rêves insensés ou refoulés et sont les victimes conscientes ou non d’une
société dans laquelle ils ne savent pas, ou plus, s’insérer ou qu’ils cherchent
maladroitement à combattre, à leur façon dans une guerre un peu vaine et perdue
d’avance.
Après avoir regardé la
vie maussade des jeunes adultes italiennes dans « D’acier », Silvia
Avallone explore ici leur double masculin.
Piero est cet anti-héros
typique de la jeune romancière. A trente-neuf ans, il n’a connu qu’une vie de
petite frappe. Tour à tour pickpocket, braqueur ou voleur de voiture, il passe
son temps à entrer et sortir de prison comme on change d’hôtel sans jamais
vraiment tomber. Macho dans l’âme, il multiplie les conquêtes comme autant de
raisons de lui faire oublier une épouse vieillie, avachie et résignée, qui
passe son temps à l’attendre en faisant du point de croix.
Lorsqu’il s’arrête,
excité comme une puce, sur l’aire d’un improbable restoroute, il est bien
décidé à braquer une caissière sans âge immédiatement effrayée par son look et
la menace virile qu’il dégage. Se croyant seul, il décide de passer aux
toilettes avant de commettre son forfait. Sa surprise est totale lorsqu’il
tombe sur un adolescent de dix-huit ans, installé dans les pissotières comme
s’il semblait attendre le bon samaritain qui viendrait le conduire là où il le
désire.
Pour Piero, c’est un
moment de grâce inattendu. Lui qui vit comme un lynx, libre de tout,
choisissant ses proies à l’instinct, sautant d’un forfait à un autre, lui qui
ne jure que par les filles faciles reçoit comme une révélation divine. Derrière
l’adolescent couvert de piercings se cache un apollon irrésistible, à la
blondeur et à la peau claire comme une fille, d’une fraîcheur désarmante. Le
voici face à la fois au fils idéal qu’il n’a jamais eu et à l’amant parfait
auquel il n’a jamais pensé.
En l’embarquant dans son
Alfa Romeo rouge, volée, bien entendu, il ne sait pas encore qu’il va donner
une direction nouvelle à sa vie, qu’il va en ébranler les bases et les
croyances, que d’un lynx agile il va se transformer en un terne animal de zoo.
Avec une densité
étonnante, Silvia Avallone parvient à donner à ce court récit une force et un
impact qui appellent respect et admiration.
Publié aux Editions Liana
Levi – 2013 – 58 pages