C’est de la France qu’il
s’agit derrière la formule « Au pays du p’tit ». Une France des
p’tits cafés, des p’tits boulots. Une France étriquée, resserrée sur elle-même,
n’ayant plus de vision ni vraiment de place dans le monde. Enfin, c’est comme
cela que la voit un universitaire sociologue d’une quarantaine d’années, Romain
Ruyssen, au point d’avoir commis un ouvrage provocateur qui fait parler de lui.
Car, dénigrer a toujours
fait recette surtout s’il s’agit de cracher sur celui qui vous a nourri et élevé.
Un moyen comme un autre pour un prof jusqu’ici obscur de faire parler de lui,
de devenir la petite gloire d’un jour que l’on va agiter sous les feux de la
rampe et à qui radios et télés vont immanquablement faire une « p’tite »
place.
Le propos de N. Fargues
n’est pas tant de taper sur son pays (quoique, un peu tout de même tant les
formules comportent d’efficacité et de vérité, plus ou moins travestie, mais
tout n’est-il pas affaire de présentation in fine ?) que de nous donner à
voir un personnage pour le moins détestable.
Car l’universitaire est
au fond une ordure mais une ordure un peu naïve et qui va finir par tomber,
victime de ses propres pièges et de ses propres turpitudes. A travers son
personnage, l’auteur s’en prend à certains membres de l’intelligentsia
parisienne et tout particulièrement du microcosme littéraire dont certains
membres semblent prêts à tout pour concentrer attention et lumière sur eux. Le
« name dropping » n’est jamais loin chez Fargues…
Dénigrer peut se révéler
un pari véritablement gagnant à long terme. Encore faut-il avoir la brillance
intellectuelle, la capacité à tenir bon et faire front dans les joutes et
surtout une certaine hauteur morale pour éviter de se retrouver attaqué et mis
au sol. Car, alors, l’hallali sera sévère et on ne vous pardonnera plus ce qui
avait été toléré comme une originalité arrangeant tout le monde tant il est
plus séant de faire dire par un tiers ce que l’on pense, un peu, tout bas. Mais
l’assumer serait prendre trop de risques. Dès lors, disposer d’un bouc
émissaire devient bien pratique.
Cette brillance, cette
hauteur, Ruyssen ne l’a pas. Son obsession ce sont les femmes qu’il
collectionne de façon presque compulsive. Il les consomme sans véritable
plaisir, trompant sans vergogne une épouse loyale et compréhensive, prête à
presque tout pardonner pour ne pas le perdre. Alors, il finira par faire une
« p’tite » connerie qui va lui coûter fort cher. Celle de coucher
avec une étudiante aguicheuse, péché mortel sur la plupart des campus
universitaires du monde.
A travers cette histoire
dans laquelle viennent s’entremêler d’autres conquêtes et autant de tromperies
d’un don juan de pacotille, d’un séducteur de second rang aux beaux restes, on
ne peut pas s’empêcher de voir aussi une critique à peine voilée de l’auteur
envers certaines femmes. Des femmes qui disent accepter une histoire sans
lendemain mais s’accrochent comme des sangsues. Des mégères prêtes à tout. Des
furies attirant le mâle en rut avant d’en faire leur proie pour se venger d’un
sexe qui serait mal aimé. Une sorte de sous-texte dans ce roman.
Même s’il ne possède ni
la force ni la causticité de ce qu’un Houellebecq aurait pu commettre avec un
tel thème en or, le roman de Nicolas Fargues s’apprécie pour son impertinence,
son anticonformisme et l’opportunité qu’il nous offre de réfléchir à la façon
dont nous nous voyons nous-mêmes face à un pays que l’on dit en déclin. Un
p’tit bouquin bien tourné et bien
sympathique au fond. Allez, patron, vous m’en remettrez un !
Publié aux Editions POL –
2015 – 233 pages