4.11.15

Someone – Alice McDermott




L’écrivaine américaine Alice McDermott s’est fait une spécialité d’élaborer des livres touchants et édifiants en partant simplement du quotidien banal de personnages anodins. Car, bien au-delà des intrigues ou des récits plus ou moins complexes dont elle se méfie et qu’elle rejette pour elle-même, celle qui fut plusieurs fois finaliste du Prix Pulitzer sait user d’une plume sensible pour bâtir pas à pas des livres frappants et captivants.

Dans « Someone » (qui signifie « Quelqu’un » pour bien souligner le caractère anonyme et presque universel de ce qui nous est exposé ici), c’est une femme arrivée au seuil de sa vie, Mary, qui laisse remonter ses souvenirs. Bien que dotée d’une vue fragile et faible et désormais aveugle et dépendante, Mary n’en fut pas moins l’observatrice attentive et avisée de son environnement.

Toute sa vie elle la passa à Brooklyn. Celui d’abord des années trente et de l’immédiat après-guerre qui constitue le cœur du récit. Et puis celui de ces années soixante-dix qui la voit peu à peu se retirer de la vie, disparaître à jamais victime de son âge.

La vie de Mary fut celle d’une lutte permanente. Une lutte contre elle-même pour parvenir à voir, pour faire de son problème de vue un atout, une sorte de charme. Pour cela, il lui aura fallu d’abord vivre la douleur cuisante d’un premier chagrin d’amour doublé d’une humiliation. Apprendre à trouver sa place et à vaincre ses réticences une fois devenue l’assistante d’un entrepreneur des pompes funèbres de Brooklyn. Vivre aux côtés d’un frère obsédé de lecture et de théologie, envoyé au séminaire, ordonné prêtre avant que de tout laisser tomber, sans jamais donner la moindre explication.

Et puis, il y aura la rencontre d’un ex GI, flottant dans son costume, aussi squelettique que volubile, drôle et charmant au point qu’elle finira par l’épouser avant de lui donner quatre enfants.

Une vie faite de petits riens, de décès de voisins ou d’amis année après année, de petites joies et de grandes peines, de rebuffades, de compromis mais aussi de beaucoup de générosité, le don de soi semblant être le guide constant de ces existences dans lesquelles chacun des principaux acteurs semblent ici se débattre.

Ce sont ces successions de séquences qui surgissent comme elles viennent dans les ultimes souvenirs d’une femme en train de se libérer de sa vie qui auront fait la beauté et la richesse d’une existence qui aura vaincu bien des épreuves en même temps qu’elle aura subi des échecs. N’est-ce pas là la vie de beaucoup d’entre nous en même temps que le témoignage touchant d’une époque à jamais révolue ?

Publié aux Editions Quai Voltaire – 2015 – 265 pages