L’écrivaine
américaine Alice McDermott s’est fait une spécialité d’élaborer des livres
touchants et édifiants en partant simplement du quotidien banal de personnages
anodins. Car, bien au-delà des intrigues ou des récits plus ou moins complexes
dont elle se méfie et qu’elle rejette pour elle-même, celle qui fut plusieurs
fois finaliste du Prix Pulitzer sait user d’une plume sensible pour bâtir pas à
pas des livres frappants et captivants.
Dans
« Someone » (qui signifie « Quelqu’un » pour bien souligner
le caractère anonyme et presque universel de ce qui nous est exposé ici), c’est
une femme arrivée au seuil de sa vie, Mary, qui laisse remonter ses souvenirs.
Bien que dotée d’une vue fragile et faible et désormais aveugle et dépendante,
Mary n’en fut pas moins l’observatrice attentive et avisée de son
environnement.
Toute sa vie elle
la passa à Brooklyn. Celui d’abord des années trente et de l’immédiat
après-guerre qui constitue le cœur du récit. Et puis celui de ces années
soixante-dix qui la voit peu à peu se retirer de la vie, disparaître à jamais
victime de son âge.
La vie de Mary
fut celle d’une lutte permanente. Une lutte contre elle-même pour parvenir à
voir, pour faire de son problème de vue un atout, une sorte de charme. Pour
cela, il lui aura fallu d’abord vivre la douleur cuisante d’un premier chagrin
d’amour doublé d’une humiliation. Apprendre à trouver sa place et à vaincre ses
réticences une fois devenue l’assistante d’un entrepreneur des pompes funèbres
de Brooklyn. Vivre aux côtés d’un frère obsédé de lecture et de théologie,
envoyé au séminaire, ordonné prêtre avant que de tout laisser tomber, sans
jamais donner la moindre explication.
Et puis, il y
aura la rencontre d’un ex GI, flottant dans son costume, aussi squelettique que
volubile, drôle et charmant au point qu’elle finira par l’épouser avant de lui
donner quatre enfants.
Une vie faite de
petits riens, de décès de voisins ou d’amis année après année, de petites joies
et de grandes peines, de rebuffades, de compromis mais aussi de beaucoup de
générosité, le don de soi semblant être le guide constant de ces existences
dans lesquelles chacun des principaux acteurs semblent ici se débattre.
Ce sont ces
successions de séquences qui surgissent comme elles viennent dans les ultimes
souvenirs d’une femme en train de se libérer de sa vie qui auront fait la
beauté et la richesse d’une existence qui aura vaincu bien des épreuves en même
temps qu’elle aura subi des échecs. N’est-ce pas là la vie de beaucoup d’entre
nous en même temps que le témoignage touchant d’une époque à jamais
révolue ?
Publié aux
Editions Quai Voltaire – 2015 – 265 pages